Aujourd’hui la mer doit être solitaire, hautaine et boudeuse.
J’ai pris tous les transports hier et me voilà dans la ville grise. Je vais travailler à la bibliothèque du muséum. Devant l’entrée, sur la grande esplanade de terre battue blanche, il y a cette femme, desséchée, les yeux fous, un sac plastique vert plein de choses posé à ses pieds. Elle exécute des gestes comme d’un art martial, mais plus je m’approche, plus je vois que c’est le sempiternel même geste, brouillon, désordonné, délié, effilé. En réalité elle est dérangée qui appelle les énergies du soleil ou quelque chose comme ça. Lorsque je sortirai à la fermeture, neuf heures plus tard, elle sera encore là, les mêmes geste, toujours plus fatigués, maladroits, forcenés.
Entretemps, alors que j’étais plongé dans d’inestimables incunables dans les salles vides et boisées du haut, on a entendu un type gémir : « Y’a quelqu’un ? Aidez-moi », des phrases espacées de longs silences ; tout de même on a prévenu la bibliothécaire qui était là, qui a appelé la sécurité. Laquelle sécurité n’a rien compris aux indications peu claires de la dame. Le type était en catalepsie sur une passerelle ; j’ai appelé les secours, mais la ligne ne répondait pas, était surchargée, vue la célérité des membres de la sécurité qui, une fois identifié le lieu, ont semblé totalement dépassés par les évènements. Ils allaient et venaient se parlant à trois mètres à travers leur talkie-walkie, tournaient en tout sens, sans savoir bien quoi faire, m’écartèrent, voulaient prendre la situation en main, n’y parvenant pas montraient leurs bras. Je décidai de les laisser à leur bal, et repassai par le jardin.
Le vent, puis le vent, que la chaleur de l’été comprima de la pluie, vint balayer la terre battue blanche, comme pour effacer tout ça, ou aveugler plutôt, de sorte qu’il ne reste aucun témoin de cette excursion, cette première plongée dans la ville visiblement épuisée.