Aujourd’hui la mer est comme en noir et blanc.
La mer avait rejeté toutes sortes de déchets, en particulier une grande quantité des chaumes d’herbes de bas-fond, la paille de mer formant d’épais metelas venant border sur une certaine hauteur chacun des écueils, par ailleurs rendus bouillants par le soleil.
Je m’installai en fin la journée dans un mouchoir de roche, pour jouir d’un peu de frâicheur et délasser tant que peut le regard trop plissé. L’été, ce sont les gamins qui prennent possession des roches, et nous sommes en minorité. Un couple de jeunes filles passaient là où j’avais élu possession de langue de terre ; l’odeur des herbes marines, musc puissant mais feutré, couvrait tous les sons. Elle me dirent qu’un canard mort pouvait se trouver dans le coin. Ici ? dis-je ; oui, mais ils l’ont poussé vers là, elles répondent.
Effectivement un corps frêle et déjà squelettique d’un oiseau sèche encore un peu plus au soleil, seul le bec reste digne dans cette brisure de la colonne, et la pourriture des chairs et des plumes, permet seul de rattacher la dépouille au règne des oiseaux — mais ne permet pas de décider du nom de canard, c’est dire l’avancement de la putréfaction.
Une image d’autant plus frappante, qu’un autre gamin, dont on a l’impression qu’il agit comme un malade, situé sur la falaise qui surplombe mon îlot, jette des pierres sur le cadavre aviaire. Il agit les yeux déjà perdu dans l’ennui existentiel ou la folie anthropique, à la manière du joueur de banjo de Deliverance. J’ai beau lui dire d’arrêter, il s’en contrefiche, poussé qu’il est d’ailleurs par une petite fille bien trop grasse pour son âge, et très vilaine, dont on se surprend à ne vouloir que la chute — qu’ils viennent d’ailleurs tous les deux remplacer le cadavre ! Vilains enfants dénonçant la nature, qui enlaidissent la difficile complexion de la mer, devenue sépia, huileuse, grasse, cette fin de journée.
Un parent — visiblement déficient — rappelle les enfants à l’ordre ; ils sont donc bien humains, ce ne sont pas seulement des monstres générés par les rochers par vengeance contre ceux qui les foulent à longueur de temps, figurine grossières créés par le souvenir graveleux des pierres — et leur langage appauvri sinon sobre.
Non les enfants existent, ils ont beau être débiles, ils sont bien réels, et je profite de ma stature pour le gronder abondamment, enfant absurde et stupéfait, dont les grands yeux ressemblent plus à des écrans numériques qu’à des lueurs de vivacité.
Toute la moiteur s’est rassemblée en corps, il est très difficile de s’arracher à l’air, et ce n’est qu’une fois dans le train que je parviens à solder ces sensations frissonnantes.
Tous les jours ne sont pas bénéfiques à la mer.