[Voyage en chambre]
Quel plaisir n’ai je pas, je vous le dis, à rester assis avec un livre jusqu’au crépuscule venant, jusqu’à ce que je ne puisse plus rien déchiffrer… que mes pensées commencent à tourner en rond1… Voyez-vous, comme je vous le disais, le livre n’est pas simplement un corps de matière, un brut et bête agglomérat d’atomes. Il y a, derrière chaque mot, non seulement une image et un son, mais en vérité déjà un autre mot, puis un autre, et un autre, de sorte que ce n’est pas un mot, une image et un son, mais une infinité de mots, d’images et de sons, une infinité de paysages, une infinité de territoires, une infinités de vies.
Oh je n’aurais pas l’outrecuidance de me livrer à quelque ratiocination sur l’infini ici, ce n’est guère mon bon plaisir, et d’autres, plus performants, s’y sont essayés avec de meilleurs résultats (quoique) que moi.
Non, plutôt que l’ivresse ou le vertigo (sic) d’un monde sans frontière et, par conséquent, sans âme (ou alors des âmes errantes en des limbes mal définis), je voudrais vous proposer ceci : que ces vies, ces territoires, ces paysages, en fin de compte, comme le raconte le passeur au riverain dans un texte de Jabès, sont tous semblables, et si l’on se demande « où commence et où finit, ce pays, si sa végétation est sœur de la nôtre, […] quelle est la forme de ses arbres et de ses rochers », la réponse est toujours la même : il y a la vie, comme ici, et la vie dans la mort et, comme ici, il y a l’obscurité dans la lumière […]2.
C’est pourquoi, face à l’inquiétude, qui semble être la vôtre, dans ce passage, je pose cette sécurité, qui est celle que je ressens, à mon bureau, avec en vue seulement, sous la lumière de l’ampoule, la pointe du crayon qui va comme d’elle-même, régulièrement comme une horloge, de gauche à droite, ligne après ligne, sur le papier réglé3.