Texte publié sur Remue.net, « en trois temps », grùce à Guénaël Boutouillet, que je remercie.
Sommaire
1. Origine et genĂšse de FB
Farigoule Bastard est né sur les réseaux sociaux, je vais de suite y revenir, mais dÚs auparavant une premiÚre fois dans le réel.
Câest Ă lâoccasion dâune soirĂ©e de lâassociation La CommĂšre, dans lâextrĂȘme sud de la DrĂŽme et les marches de Farigoule-personnage que celui-ci est nĂ©. La CommĂšre sâincarne par des personnages, des mannequins grandeur rĂ©elle, disposĂ©s dans le village (coins de rue, balcons) et relaie les nouvelles du pays. Elle organise Ă©galement une soirĂ©e annuelle, avec diffĂ©rentes animations, balades, stands. On Ă©tait Ă la salle des fĂȘtes dudit village, Sahune. Je suis allĂ© fumer une cigarette sur la terrasse, et lĂ fumait Ă©galement une jeune femme. Devisant avec elle, elle mâapprend quâelle est bergĂšre1. Je lui dis que je suis botaniste et elle me demande si je connais une plante dont raffolent les bĂȘtes et que les anciens appellent la farigoule bĂątarde. Je ne la connaissais pas. AprĂšs bien des recherches sur les diffĂ©rents sites et dans les diffĂ©rents ouvrages traitant de taxinomie populaire, je nâai jamais trouvĂ© de mention de la « farigoule bĂątarde ». Farigoule, en patois provençal, câest le thym. Si le thym est bĂątard, câest quâon a affaire Ă une espĂšce ressemblant au thym. Soit dâun point de vue morphologique (badasse, marjolaine par exemple) soit dâun point de vue biologique (les autres espĂšces du genre Thymus sont les serpolets, qui sont trĂšs nombreux et relativement difficiles Ă distinguer les uns les autres â et plusieurs sont trĂšs courants dans la rĂ©gion).
Le nom, ou binom, au sens linnĂ©en du terme, est restĂ©, et jâai commencĂ© Ă le trouver pertinent du point de vue de la fiction, câest-Ă -dire quâil commençait Ă donner. Farigoule Bastard est ainsi arrivĂ©, comme un binom, au sens patronymique et administratif du terme â Bastard Ă©tant un nom de famille rĂ©pandu un peu partout en France2.
Poussant cette frontiĂšre Ă son bout, jâai mĂȘme changĂ© mon nom sur Facebook en Farigoule Bastard, pour Ă©crire quelques statuts inspirĂ©s de Haute-Provence : de thym et de moyenne montagne. Certains amis se sont interrogĂ©s3.
De lĂ lâidĂ©e de dĂ©velopper ce personnage, de nom Bastard, de surnom Farigoule (prĂ©nom Jean-Louis), qui passera par son propre canal : une page Facebook par exemple. Dans le mĂȘme temps, jâentre en contact avec Anthony Poiraudeau et nous convenons dâune sĂ©rie de textes pour Le convoi des glossolales. Farigoule intervient alors, et, pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e, je cĂšde Ă Farigoule qui impose son arbitraire Ă lâensemble de lâĂ©criture. Câest un peu comme si Farigoule avait Ă©tĂ©, par mon entremise, en rĂ©sidence dans le Convoi.
Dans le Convoi on a la possibilitĂ© dâĂȘtre auteur contraint ou non (et donc affranchi). La contrainte dâun paragraphe vaut pour tous, mais lâauteur contraint sâimpose une rĂ©currence. Dans ce contexte, Farigoule est intervenu de maniĂšre hebdomadaire, le vendredi, parce que, disait-il, « câest le jour du poisson » (?).
Et câest ainsi que chaque jeudi soir, je livrais au Convoi le « Farigoule » du vendredi, et ce durant neuf mois entre 2011 et 2012. Et câest ainsi que le rĂ©cit sâest construit, pas Ă pas, dans le flux de lâinternet, sur la base dâune rencontre rĂ©elle, et par le biais dâune fiction incarnĂ©e en langage.
Extrait (Chapitre VIII, page 31)
Les pieds de Farigoule Bastard ne trempent pas, mais sâĂ©vertuent, et se campent ou se frottent tout contre le monde qui nâest pas rond, mais complexe polygone de faces et leurs revers, poches toujours rĂ©pĂ©tĂ©es, ralentissements dĂ©tours renversements. Ă quoi peut bien servir la mesure On ne connaĂźt pas les sous-sols les
niches & alcĂŽves les avens et les plissures il pense. Le monde il est infini Comment veux-tu savoir les chiffres il pense, ahanant. Dans les interstices de ce cairn il y a un monde des fissures des cavitĂ©s des zones dâair sans contact parce que rien nâest droit ni rigide pareil au froissĂ© du corps pareil Ă tout ce qui demande un
nom Espacement est sĂ©paration. Lâespace est possible rencontre & rencontre est juste agencement. Quelques mĂštres Ă vol dâoiseau pour ramasser les dĂ©bris de la Vieille. Mais vol dâoiseau ? Tout ce qui rampe comme Moi et les vers les pourceaux les plus beaux Ă©talons & les cloportes, nous, tous autant, câest : Un pied devant lâAutre. Câest : (1) par (1). Je ne sais pas mĂȘme si jây arriverai, peut-ĂȘtre que cent mĂštres Presque je renifle un fumet de
marmite Ă©teinte de peu Une maison Une femme Un systĂšme Mais qui sait si jamais je pourrai me prĂ©senter au seuil toquer gaillardement peut-ĂȘtre appeler sourire faire face. Une poignĂ©e dâherbes est tellement loin dĂ©jĂ . Soupire, Farigoule.
2. Domestication du bastard
a. Structure originelle du livre
Ă lâorigine, aprĂšs le dĂ©ploiement dans le Convoi, le texte global fut repris sur mon propre site, oĂč il fut alors question dâune premiĂšre mise en forme de second niveau (au niveau du texte, et plus au niveau du contenu4). Cette nouvelle mouture (qualifiĂ©e de geste, alors) Ă©tait constituĂ©e de trois parties (trois cycles) ; il y avait des chapitres numĂ©rotĂ©s de romain â mais certains de ces chiffres Ă©taient inversĂ©s (ou mal Ă©crits, ou incohĂ©rents ou erronĂ©s : VIX, IVII, IXX par exemple) ; dâautres chapitres, les chapitre cinq, dix, quinze, etc., Ă©taient eux numĂ©rotĂ©s en chiffres arabes, et constituaient une biasse de correspondances, elle-mĂȘme double : trois lettres de Farigoule Bastard et dâautres personnages du rĂ©cit, et trois lettres de voyageurs Ă©garĂ©s, de migrants totalement extĂ©rieurs au rĂ©cit ; il y avait des chapitres classĂ©s par lettre, de A Ă E, portraits plus ou moins poĂ©tiques de Farigoule Bastard ; il y avait enfin, Ă la fin de chaque cycle un long poĂšme dâune page dense, de Farigoule Bastard, dĂ©veloppĂ© en rhizome depuis une citation dâun auteur existant, sur lequel â Ă lâĂ©poque â je nâavais jamais Ă©crit et le regrettais : Roubaud, Roche, Volodine.
Comme on voit cette structure Ă©tait plus que complexe et destinĂ©e Ă perdre Ă lâenvi le lecteur. Or le texte Ă©tant dĂ©jĂ ardu, il a fallu Ă©monder un peu les frisottis de ce bouillonnement.
b. LâĂ©diteur et lâĂ©dition
Jâai envoyĂ© le texte ainsi harnachĂ© Ă quelques Ă©diteurs choisis (je savais que ce texte nâĂ©tait pas pour tous), et pratiquement tous mâont rĂ©pondu positivement quant Ă la qualitĂ© intrinsĂšque ; un seul a toutefois bien voulu sây atteler, BenoĂźt Virot, alors aux Ă©ditions Attila, aujourdâhui au nouvel Attila. Le texte fut prĂȘt Ă ĂȘtre publiĂ© en 2013-2014, mais la scission de la maison Attila a contraint Ă le repousser, ce qui est une bonne chose. Le texte, dĂ©cantĂ©, a permis quâon le travaille plus tranquillement, et sereinement. Il nâa pas trop mouftĂ©.
PremiĂšre chose, BV refuse une telle structure : les chapitres poĂ©tiques sont Ă©vacuĂ©s (ils ont Ă©tĂ© publiĂ©s par Mathieu Brosseau sur son site Plexus-S) ; les lettres des migrants Ă©galement (nâont rien Ă faire lĂ ). On rĂ©organise Ă©galement lâordre des chapitres, afin de balancer les chapitres ârĂ©elsâ des chapitres ârĂȘvĂ©sâ.
Et, chose Ă©trange, on ajoute deux Ă©lĂ©ments : un chapitre oĂč serait une chanson, le chapitre trente-trois. Deux chapitres sont Ă©crits, dans le va-et-vient et le temps dispersĂ©s, dans la confusion des versions, un 33 et un XXXIII, et ils seront finalement mĂȘlĂ©s.
Lâautre Ă©lĂ©ment, suite Ă une demande singuliĂšre de la part de BV Ă BV, celle de composer pour lâoccasion une chanson. Jâai Ă©crit des chansons, par le passĂ©, dont le ton et la forme sonnaient justement avec ce genre de rĂ©cit, des histoires de ruisseaux, dâhirondelles (elles ont le ventre blanc) ou de martinets (ils sont noirs faucille), dâamours déçues et dâaulx. BenoĂźt les a entendues. Jâai donc Ă©crit Le couteau, car câest bel et bien le cĆur du rĂ©cit, sur la base dâun morceau que jâavais abandonnĂ© (vous savez quâon Ă©crit des choses, et puis elles ne tiennent pas dans le temps, trop fragiles, ou vous changez, et elles sâĂ©tiolent et meurent, petits ombilics racornis Ă vue dâĆil).
Dans le chapitre trente-trois il est question dâune chanson.
Extrait (Chapitre trente-trois, version inédite, feuillets 84-85)
Elle a fermĂ© les battants des fenĂȘtres. Elle a dĂ©posĂ© le voile et dĂ©fait son chignon. Elle a froissĂ© le tilleul, et jetĂ© des Ă©pices dans le petit feu. Elle a infusĂ© le thym avec la sarriette, pĂ©tri les pĂątes de lierre et Ă©crasĂ© dans le mortier les siliques de vĂ©lar mĂ©langĂ©es avec les akĂšnes du sĂ©sĂ©li et du buplĂšvre.Elle a Ă©puisĂ© lâaristoloche.
Elle a posĂ© Ă cĂŽtĂ© dâelle la cuiller dâargent.
DĂ©jĂ la boucane a envahi la piĂšce, nourrit les angles. Les lumiĂšres sont baveuses, floutĂ©es par lâexcĂšs de suie. Les formes chancelantes, et les sons Ă©touffĂ©s. Elle peut alors lĂącher la bride de la raison, Ă son aise.
Elle tremble, vieille carne, et se raidit dâun coup, puis tremble Ă nouveau. Ce manĂšge se poursuit encore et Ă chaque fois plus brusque. On dirait quâelle rajeunit et, si elle dansait, ce serait de ces danses des terres arides, oĂč des femmes ensorcelĂ©es dĂ©vident leurs gestes Ă la maniĂšre des bestes, leurs yeux devenus chas.
Les siens sont rĂ©vulsĂ©s, rougies par lâair viciĂ©, sa bouche est soudain pĂąteuse. Il faut une langue de terre pour dire ce quâil advient. LĂ©cher serait plus proche que le langage, du reste. Son insomnie prend racine ici, dans un subit dĂ©rĂšglement des lumiĂšres. Les cordes se mĂȘlent, et les trames sâĂ©puisent comme neige au sol. La voix se dĂ©noue.
Un son comme au travers dâune porte de chĂȘne, pleine de visserie et large dâune paume, dont la clef est dĂ©finitivement paumĂ©e. Un son rauque et scarieux sâĂ©lĂšve du bouquet de caieux, et sâeffiloche enfin en hoquets et chuintements. Elle dĂ©roule des paysages.
Il y a une ville, une vraie ville, une ville en vrai, en plein, avec des costumes, des odeurs de cuisine, des chaleurs, des misĂšres, des lumiĂšres, des objets infinis entassĂ©s sur dâinfinies limandes.
Il y a une montagne, un grand dĂ©vĂšs dĂ©nudĂ©, parsemĂ© de boustrigas, de clapas, de failles et dâavens et peut-ĂȘtre une sente tortueuse. Quelques arbres dĂ©charnĂ©s, dĂ©jetĂ©s, en quĂȘte de soleil ou de terreau plus clĂ©ments, miment, arthritiques.
Dans les deux tableaux il est lĂ . Ombre allongĂ©e et claudiquante, elle semble chercher chemin. Pourtant non, elle sait trĂšs bien oĂč elle va. Elle passe.
3. Envoûtement
a. Possession récurrente
Comme dit prĂ©cĂ©demment, Farigoule Bastard est nĂ© du dĂ©sir de feuilleton au sein du Convoi des Glossolales. Cette rĂ©currence (hebdomadaire) est le fait, au dĂ©part, du bon plaisir de lâauteur, celui de sâadonner au dĂ©veloppement pratiquement alĂ©atoire, comme au fil de lâeau, dâun noyau narratif vers son Ă©panouissement. TrĂšs sensible Ă la structure singuliĂšre de la revue (aujourdâhui on dirait la sĂ©rie), et nourri en partie Ă elle, je me suis donc lancĂ© dans lâaventure de poursuivre une histoire Ă partir de ce simple fait, Ă©lĂ©mentaire : le nom mĂȘme de Farigoule Bastard, passĂ© du thĂ©Ăątre rĂ©el au masque poĂ©tique.
Les premiers textes posent le cadre, et ne semblent pas devoir porter dâautres enjeux littĂ©raires particuliers (autres que celui-ci). Mais dĂšs le dĂ©but, la langue prend. Une langue singuliĂšre, Ă la fois un peu archaĂŻque, un peu revĂȘche, rocailleuse, me prend.
Pour citer une anecdote qui nâest peut-ĂȘtre pas en ma faveur : je livrais le texte le jeudi pour le vendredi (publiĂ© le samedi), chaque semaine. Et, çâa Ă©tĂ© le cas plus dâune fois, il mâest arrivĂ© de nâavoir pas du tout prĂ©parĂ© la semaine suivante et de devoir Ă©crire en vitesse le prochain âĂ©pisodeâ. Mais au moment de me prĂ©senter Ă la page blanche, la langue venait dâelle mĂȘme â et avec elle le rĂ©cit.
Un phĂ©nomĂšne rarement Ă©prouvĂ©, me concernant, puisque jâai cĂ©dĂ© pas mal par le passĂ© Ă des projets dâĂ©criture, comment dire, normĂ©s : structurĂ©s par une figure (câest le cas de Local hĂ©ros qui sort en fin dâannĂ©e chez Publie.net), Ă©paulĂ©s par une configuration particuliĂšre (Ge-nove en ce sens en est un peu la dĂ©mesure), aiguillĂ©s par la circonstance (lâĂ©criture quotidienne sur le site, par exemple), ce qui revient finalement Ă ne faire que du âmontageâ textuel. Câest une donnĂ©es importante, aujourdâhui, dans la littĂ©rature, que de sâemparer dâun sujet du rĂ©el et de tourner autour, et dans cette spire trouver un souffle propre. Câest comme si lâon avait peur du rĂ©cit, de sâadonner totalement Ă la force intrinsĂšque du chant5. Au reste, cette puissance narrative, nous lâavons abandonnĂ©e Ă des auteurs qui, pour autant, nâont pas bougĂ© dâun iota depuis Balzac. On peine aujourdâhui Ă trouver des auteurs qui ne sâaffublent pas dâun dispositif (je ne supporte plus ce mot) dâĂ©criture ou dâun prĂ©texte ponctionnĂ© dans le rĂ©el, une vie ou une Ćuvre prĂ©existante.
Je ne dis pas que je nâai pas fait cela ici, ou que je ne le referai plus jamais, je pose un constat.
Cette peur du rĂ©cit, sans doute lâai-je eue moi aussi â on se demande comment on peut Ă©crire la premiĂšre page dâun texte qui pourrait en compter mille. Mais dans le cas de Farigoule Bastard le personnage Ă©tait si imposant, son histoire pratiquement insignifiante, et il mâĂ©tait pourtant tellement familier, que je puis dire que nous avons coĂ©crit ce texte ensemble, quâenfin je nâai servi que de support ou de medium pour le laisser venir. En quoi on peut parler peut-ĂȘtre dâune petite mort de lâauteur.
b. Mort de lâauteur
Aujourdâhui le livre est sorti. Comme disait lâautre, maintenant je nâai plus mon mot Ă dire. Farigoule Bastard et Farigoule Bastard ne mâappartiennent plus â mais Ă dire le vrai il ne mâont jamais beaucoup appartenu.
Je peux lâapprĂ©cier pour ce quâil est, un texte oĂč je trouve de plus en plus de dĂ©fauts, un chant Ă©pique brisĂ©, un rĂ©servoir poĂ©tique, une ode Ă mon pays natal, etc. ; mais revenir Ă son assourcement me semble bien difficile. Chaque jour, chaque lecture, mâĂ©loigne de lui. Je rĂ©alise peu Ă peu son ampleur, je veux dire ce quâil porte de ces gens, de ces paysages, de ces mots, et cela me convient.
Je le rĂ©alise dâautant plus fort quâil reçoit maintenant des lecteurs, avec leurs impressions, leurs commentaires6.
Je le rĂ©alise dâautant plus fort que, malgrĂ© vingt ans dâĂ©criture assidue, depuis le texte numĂ©ro un et jusquâau dernier qui est le texte numĂ©ro quatre mille trois cent vingt cinq de mon trente-septiĂšme carnet, ce livre est mon âvraiâ premier livre, mon premier livre papier, en consĂ©quence de quoi jâaccĂšde au statut ârĂ©elâ dâauteur 7.
Accession un peu faussĂ©e si lâon considĂšre que nous avons Ă©tĂ© plusieurs, et mĂȘme beaucoup, jâen prends conscience en relisant ces trois textes de prĂ©sentation non dĂ©nuĂ©s dâĂ©gocentrisme, Ă lâĂ©crire.
Ăcrire devrait toujours nous dĂ©mettre du propre de la propriĂ©tĂ©, comme il le fait de lâauteur, de toute autoritĂ©.
Extrait (Chapitre XXVI, pages 85-86)
Une voix au fuselage de coton, câest elle qui venait, heurtoir mou, pointiller sur la coque de Farigoule Bastard, lĂ oĂč derriĂšre se cache du remuant. Il ne parvenait pas pourtant Ă saisir cette longe trop mince ou trop courte ou trop cassante paille, Ă©vaporĂ©e entre ses doigts plutĂŽt, dans le miroir les qualitĂ©s sâĂ©treignent. ConfusĂ©ment on agite autour de lui des corps, un ballet dâĂ©pileptiques. Il ne voit pas, puisque dort, ou plutĂŽt dans la profondeur replĂšte de lui-mĂȘme sâenfonce, comme dans du tissu, comme dans du drap. Il ne voit pas mais devine â la masse dâair ? les tacts Ă©lectriques ? ce ne peut quâĂȘtre simplement du son â il ne devine pas mais flaire, câest dâun Ă©tat prĂ©cis du monde quâil sâagit, cela demande un inventaire prĂ©cis, une mĂ©thode et un rapport. Il se passe quelque chose. Les outils hĂ©las ne sont pas adaptĂ©s, et tous nĂ©cessitent une maintenance qui est Ă cet instant dĂ©ficiente. InopĂ©rante. Limier erratique, avance au hasard, croit suivre une piste mais ce nâest que le gras de lui-mĂȘme quand il sombre. Farigoule Bastard sâest effondrĂ© en lui.
La voix persiste, lointaine, humide, un filet de voix, une brume, Ă peine la moue ou lâinspiration. « Monsieur Fayaaaaaaard. » Et se perd, ricoche de limbe en limbe â soit : ne ricoche pas, glisse. « Monsieur Fayaaaaaaard. » Sâentend rĂ©pondre Farigoule Bastard Mon nom est Bastard mais les a-t-il mĂȘme prononcĂ©s. Ces mots. Ne sont-ils pas restĂ©s Ă lâĂ©tat de chenille de mot, qui tortille sans grĂące, cette petite flamme qui rĂ©sonne dans la coque, dans le creux de lâoeuf, Ă peine formulĂ©s, ou pas, Ă peine engagĂ©s dans lâĂ©nonciation ? Quâest-ce que câest un mot ? Un morceau de soi qui se dĂ©croche et vient toucher dehors. Mais si le soi nâest pas tenu, si le soi est Ă©vacuĂ©Â ? Si lâoccupant dĂ©serte ? Comment, le trafic des mots ? Ă quelles inclinaisons se rendent-ils ? « Monsieur Fayaaaaaard ? »
- Les bergers sont aujourdâhui eux-mĂȘmes souvent des transhumants, appelĂ©s par les Ă©leveurs. ↩
- Et plutĂŽt dans le nord ! Jâai dĂ©couvert depuis que derriĂšre la tombe du GI, il y a le tombeau de la famille Bastard. Nâest-ce pas beau ? ↩
- On mâa mĂȘme traitĂ© de « Claro ». ↩
- Jâai peu dâidĂ©es, mais une conception personnelle de la forme littĂ©raire, qui se construit comme un systĂšme emboĂźtĂ©, depuis le phonĂšme et le graphĂšme, jusquâau mot, la phrase, le texte, le livre ou lâĆuvre ; chacun de ces niveaux possĂšde son rĂ©seau de renvois, dâĂ©chos et de tourbillon sĂ©mantique, et chacun de ces niveaux peut correspondre avec lâautre ; certains textes ne travaillent que sur un niveau, dâautres les embrassent tous, y compris lâĆuvre, impliquant jusquâĂ la fiction du nom dâauteur (Blanchot, Pessoa, Tabucchi, Volodine) ; cette conception Ă©vacue toute problĂ©matique du genre, qui ne me convient pas, ne mâa jamais convenu ↩
- Ou quâon en nâa pas les moyens. Il est vrai que Farigoule Bastard dĂ©mĂ©nage… ↩
- Les rĂ©fĂ©rences Ă Giono sont Ă©videntes ; celles Ă AndrĂ© de Richaud, Pierre Guyotat ou Rabelais plus surprenantes, mais Ă©videmment elles me ravissent ! ↩
- Mais il est vrai que sera passĂ© par lĂ , entretemps, le GĂ©nĂ©ral Instin, qui dĂ©porte considĂ©rablement lâĂ©go littĂ©raire dans ses retranchements textuels ↩
Je viens de terminer l’enregistrement de votre livre pour les mal voyants lecteurs du festival du premier roman de Chambery . Exercice pĂ©rilleux …. Mais vĂ©ritable dĂ©lice, de « mĂącher » les mots, leur accumulation, le rythme insensĂ© de l’ouvrage, un vrai bonheur !
Bravo et merci Ă vous pour cet enchantement !
Marie
Merci Ă vous, et bravo d’avoir trouvĂ© un espace oĂč rĂ©pondre dans ce site en pleine refonte !
Merci vraiment de votre message ; en effet ce texte trouve toute sa force, selon moi, Ă l’oral. Et merci pour le travail que vous faites.