Dans le cadre d’un projet d’écriture de haute volée, Féroce, fomenté avec quelque éditeur où l’herbe ne repousse pas, je me lance à corps perdu dans la traduction libre de textes choisis de l’hénaurme livre de Stefano d’Arrigo, Horcynus orca (1975).
Après présentation du « personnage » de l’Orque (gravement blessée au flanc), porteuse de mort en mer, qui vient de s’installer dans le détroit, au début de la troisième partie — on est à peu près aux deux-tiers du livre, ‘Ndrja Cambrìa et les autres pécheurs d’espadon — les pélisqualles — que les dauphins — les fères — importunent et avec lesquels ils luttent (pour le poisson), précisément au lieu dit de Charybde, à la pointe sicilienne du détroit, observent l’étrange jeu sexuel entre la bête féroce et les fères.
Les pélisqualles lisaient clair dans ces flanelleries des fères, mieux que si ç’avaient été des bonnes femmes. Qu’il s’agisse de femmes, mais aussi d’hommes, qui s’ils ne sont pas des femmes sont tout de même semblables en esprit, tout aussi efféminés que les femmes, sinon plus, qu’il s’agisse donc, pour le dire mieux, de fères, dont chaque femelle en vaut deux de n’importe quelle autre espèce, parce qu’elles sont femelles justement, mais aussi fères, il était possible qu’elle jouent un rôle, qu’elles jouent une scène, la scène, d’ailleurs, qu’il leur incombait de jouer, toujours et pour tous, la scène qu’elles devaient jouer, de la naissance à la mort, toute leur vie même : mais l’air, le mouvement, ça c’était loquent-éloquent, l’air, le mouvement, qui venait en mai, l’air le mouvement de la baiserie. Et c’était cela le plus loquent, le crépitement, comme de castagnettes, que toutes ensemble elles se mirent à faire, comme accordées, de leur fente sous leur ventre, quand elles lui tournaient autour comme des odalisques et qu’aucune n’était assez chaude pour prendre confiance, au point qu’elle se le figuraient comme un pacha et comme tel, s’il en avait le bon-vouloir, c’était à lui de montrer qu’il daignait en choisir une.
Désireuses, encapricées du gros mâle, elles lui faisaient entendre le chant de leur sexe ému, la queue courbée vers le bas, qui ventilait leur nichette enflammée. On entendait ces plaintières, cette saloperie d’ébrouement, on voyait cette mer-là efféminée, dos après dos, cambre cambre, qui respiraient tuméfiés, des yeux et des yeux qui entre les cils entrouverts espionnaient le tube moussant de l’orcaféroce.
Les pélisqualles s’échangeait des œillades entendues comme pour dire : mais regardez-les, les petites putains, avec leurs manières impudentes, qui font honte même à nos nubiles, à quoi ça sert ce frétillement et ce ventilement et ce pètement faits à l’orcaféroce, à son étendard symbolique veiné d’azur.
Un moment s’écoula où hommes et bêtes semblaient attendre une quelconque décision de l’orcaféroce ; ils étaient tous comme aux aguets — sauf lui. Parce que, en ce qui le concernait lui, le supposé super mâle, les fères auraient tout aussi bien pu croire qu’il se pavanait et faisait son précieux, en jaugeant peut-être son instrument avec leur nichette et en concluant certainement que pour se l’enfiler sans prendre le risque d’être transpercées de part en part, il aurait dû imaginer quelque expédient dans le but d’amortir, contenir, freiner la longueur disproportionnée de l’armement. Expédient comme celui, par exemple, de Peppe Papano qui, lorsqu’il se maria avec la minute Lina, pour ne pas se laisser porter par l’instinct et imposer à la jeune épouse l’entièreté de son engin, sainement, avec le risque de l’éventrer, lors de la nuit de noce précisément, et pour lui permettre d’en recevoir chaque fois un peu plus, en souffrant un peu oui peut-être, mais en souffrant de douceur, c’était le cas de le dire, de douceur, son espèce d’engin qui était plutôt celui d’un âne et méritait qu’on le réduise, il le réduisit, ou pour dire mieux, il le brida, en y enfilant sept beignets, et ce furent ceux-ci, ces gâteaux en forme de roue avec un trou au milieu, de la forme justement des bouées de sauvetage, qui servirent de bouée de sauvetage à la jeune épouse timorée. Peppe Papano, ainsi, en retirait une chaque nuit, de ces bouées sucrées, et son engin venait chaque nuit se caler un peu plus et il pouvait vérifier la dévotion de Lina. Elle t’en a mangé un autre, de beignet, cette nuit, mon salaud ? lui demandaient ses amis chaque matin. Mais à la fin de la septième nuit, grâce à ces bouées, Lina savait désormais nager toute seule, sans peur, et Peppe Papano, il faut le reconnaître, l’avait accompagnée, vraiment, on ne dit pas ça en l’air, avec douceur.
Mais pour revenir à l’orcaféroce, et au fait que ces grandes idiotes se conquillaient toutes à la vue de son geyser, tandis qu’à lui, cela ne faisait ni chaud ni froid, pour comprendre, il faut s’imaginer que dans les ténébreux abysses de son esprit mortifère, il n’y avait pas d’espace pour ce genre de choses. Un immortel comme lui, en d’autres termes, ne comprend peut-être même pas l’accouplement entre masculin et féminin, ni par plaisir ni par obligation, et de fait, un orcaféroce ne doit jamais avoir besoin, pour un mâle d’engrosser une femelle, pour une femelle de faire des petits, vu que ces animaux sont immortels, et s’ils ne meurent pas, ils ne naissent pas non plus, parce que s’il n’y a pas de fin, il ne peut pas y avoir de début, de sorte que ceux qui furent créés par Dieu à l’origine sont toujours ceux qui circulent aujourd’hui et circuleront encore demain. Et même : on pourrait tout aussi bien parier qu’il n’y a pas d’orcaféroce mâle ou femelle : pourquoi pas, car à quoi cela servirait-il ?
Le grosanimal, pendant ce temps, s’occupait toujours de ses affaires, net net, et déhissa l’étendard azur, comme celui qui, après le bain, range son matériel et se reboutonne ; puis il s’exhala de toute sa peau, et s’ébroua sous l’eau, produisant un sifflement comme du vent d’eau, qui rappelait aussi la trompette marine, le sifflement de furie suffoquée qu’elle fait quand par miracle, avec des mots magiques, mais mieux encore avec des charges d’explosifs, elle s’étrangle à la naissance1.
Les fères, attirées et détirées, reculèrent désorientées toujours en regardant fixement vers l’orcaféroce, l’espionnant, particulièrement au quartavant, où se trouvaient les orifices du souffle, et d’où peu avant le geyser jaillissait entre écume et éclaboussure.
Ce fut alors que, après tout cela et peut-être à cause de tout cela, devait naître le soupçon, chez ces milléunenuits, qu’il s’agissait d’un cheval d’apparat, d’un cheval de cirque, qui apparaît tout bardé et harnaché, et d’imposante stature, mais en vérité, dessous, il n’est que plaies et pus, tout saupoudré de sciure et de sables contre les mouches.
Mais ce fut toutefois le moment où elles prirent réellement confiance en elles et commencèrent à lui faire la révérence. A partir de là, et jusqu’au bout, toute la cour qu’elles lui avaient faite, comme on verra ensuite, elle le lui firent en jouant, dans le but de l’avoir entre elles et de le chevaucher.
Cour ? D’abord si c’était une cour, une vraie cour, pas une cour feinte, jouée, d’abord c’était une cour, un entichement, un capricement. Il y eut d’abord ce qu’il y eut, mais ce fut ensuite sans aucun doute de la scène, du théâtre, de la fiction, de la moquerie, en un mot de la fumée qu’elles lui jetaient dans les yeux. Par exemple : comme elles avaient compris que le grosanimal réapparaissait à chaque fois avec cette nervosité meurtrière sienne, les braves femelles, pour lui laisser libre cours, mais aussi afin de ne pas vraiment prendre de risque, faisaient en sorte qu’il trouve, à chaque fois, prêtes à l’usage, qui flottaient à la même hauteur de mer où lui résidait, de ces fères qui restaient, allez, sonnées par le rut, un bel assortiment de carognes fraîches et colorées, que l’orcaféroce torturait à l’aveuglette, dans un grand oragement d’écume et de sang, sans se soucier nullement de savoir s’il s’agissait de fères mortes ou vivantes.
Que faisaient-elles ensuite ? Tout le temps que le grosanimal se promenait à la surface avec son étendard d’eau, hissé et amené, ou bien s’il s’en allait calme calme dans la rème2 morte comme un voilier qui attend qu’un souffle de vent vienne gonfler sa voile ; ou bien s’il flottait, comme encollé à la bonasse, les doubles putains lui faisaient des remous, l’éclaboussaient au plus près avec leur demimains, de telle manière que l’orcaféroce puisse croire qu’elles le faisaient pour le rincer à grandes eaux et lui lever les tourments de sa plaie gouffrée qui puait de pourriture extrême, aggravée par la bonasse enflammée de sirocco.
Ceci pour dire que ce n’était que des romans-photos, ce qu’elles lui faisaient.