Dans le cadre d’un projet d’écriture de haute volée, Féroce, fomenté avec quelque éditeur où l’herbe ne repousse pas, je me lance à corps perdu dans la traduction libre de textes choisis de l’hénaurme livre de Stefano d’Arrigo, Horcynus orca (1975).
Le soleil s’était couché quatre fois sur son voyage et à la fin du quatrième jour, qui était le quatre octobre mille neuf-cent quarante-trois, le marinier, nocher simple de feue la Marine royale ‘Ndrja Cambrìa, arriva au pays des Femmes, sur les eaux du Sillécaridde.
Le jour brunissait à vue d’œil et un filet de ventilation montait de la mer mue vers le petit promontoire. Durant tout ce jour la mer s’était lissée encore au grand calme de sirocco qui durait, sans aucun changement, depuis son départ de Naples : levant, ponant et levant, hier, aujourd’hui, demain et cet air faible de l’onde grise, d’argent ou de fer, répétée à perte de vue.
Cela faisait quelques heures à peine, le sirocco toujours égal, et même il avait embrasé l’endroit, que la mer avait commencé, par en-dessous, à s’enfauver. Ç’avait été naturellement quand la mer se fit rème, intriquée et empoisonnée par les premiers serpentins tourmentés de tourbillons et de rebuts1, semblables à de gigantesques murènes que lui, avec son œil de connaisseur, il repérait à leurs couleurs diverses, comme de pierre moussue, glacées et frémissante. Ç’avait été, justement, après que les îles avaient échappé à sa vue, derrière Capo Milazzo, et Stromboli, Vulcano et Lipari, qu’il aperçut pour la première fois distantes, et depuis la terre, après les avoir toujours vues depuis les palangres, remontant le Golfe éolien, semblaient vaporer dans le soleil comme des carcasses de baleines tombées dans la bonace.
Tandis qu’il cheminait vers la pointe du promontoire féminote, le ciel devant lui, sur le Détroit, passait du pourpre ardent à une brume de frétillements goudronneux. Quand il se tourna vers la mer, et alors qu’on voyait encore clair à cause des lueurs nacrées de l’air, la nuit sans lune surgit d’un coup, avec ce tout soudain et cet orageux de passer de la lumière à l’obscurité avec qu’ont, même dans l’été le plus clair, les nuits de lune manquante. Une nuageille fumeuse, comme dégringolant des cimes de l’Aspromonte et de l’Antinnamare, avait submergé et nivelé, en un seul mélange noir, le passage ouvert entre les deux rivages.
Quelque chose, en Sicile, qui par la coloration violacée reflétée par l’eau, ressemblait à une grande bosque de bougainvillier suspendue sur la ligne des deuxmers, brilla un instant dans le milieu de la nuageaille, puis la lumière cessa et le suivit un éclat bref bref — et blanc de pierre, et alors, dans le même moment où il disparaissait dans la fumée, il reconnut l’éperon de corail qui venait en proue, dans leur marina, presque au beau milieu, comme pour les partager, entre Tyrrhénienne et Ionienne.
Sur cette pointe habitait leur Délégué de Plage, dans un cabanon en cube, à mi-chemin entre la cabine de navire et la guérite de sentinelle. L’éperon servait aux conseils et aux discussions ; il servait aussi d’observatoire sur le deuxmers lors de la passe, quand le tirage au sort lui assignait l’endroit proche du riverive, où il n’y avait pas assez d’espace pour y placer la felouque du mât de laquelle l’antennier sondait en cercles la première manifestation d’espadons, de sorte que s’imposait un échelonnement des gardes à terre et c’était grand gestes et coups de chapeaux de ces vigies, que le fileur sur l’ontre épiait, tout à son œil, pour avoir un avertissement de l’approchement de l’animal.
‘Ndrja Cambrìa voyait ainsi la nuit, une nuit doublement ténébreuse, pour cause de couvre-feu et défaut de lune, se renverser entre lui et cet ultime pas de quelques milles qu’il lui restait à faire, pour rejoindre le terme de son voyage : qui était Caridde, une quarantaine de maisons en têtenaille derrière l’éperon, dans cette nuageaille noire, vis-à-vis Silla, sur la ligne des deux mers.
- Courants secondaires de la rème, courant principal et typique du détroit. ↩