Présetation du recueil en cours de rassemblement, intitulé Permanences…
Cet ensemble de textes serait comme le journal d’une Italie vécue de l’intérieur par un étranger, mais un étranger qui, pour des raisons obscures, et sans fausse modestie, mais sans ambages, en cultive une familiarité particulièrement étrange… Je ne sais pas s’il existe un terme, en philosophie ou en psychologie pour décrire cette impression que je saurais mieux décrire que par de longues circonvolutions : ce sont ces pages.
Enfant, sur la plage de Viserbella (frazione di Rimini) les autres enfants venaient me trouver pour jouer ou simplement discuter ; j’étais peu sociable, déjà, mais surtout je ne comprenais rien à ce qu’ils me disaient. J’avais appris cette phrase par cœur, glanée auprès de mes parents, pour me défaire des importuns : « Sono francese, non capisco l’italiano ». Généralement, ils ne me croyaient pas, et c’était un labeur alors de rester seul.
C’est qu’au fond, je ne le voulais pas.
Et, de quelque manière, j’avais communiqué. Communiqué mon incommunicabilité, mon inconmmunication. C’est ce sentiment : ce n’est pas l’inquiétante étrangeté, ou le sentiment d’étrangeté face à ce qui est familier, le sentiment qui saisit devant une maison sauvage ; c’est très précisément le contraire, ou l’opposé, ou l’inverse : la familiarité de ce qui est étranger. Si on voulait jouer à l’apprenti sorcier allemand, on pourrait inventer le terme unbefremdlich, la domestication du dehors (thème qui deviendra une constante dans mon travail). C’est d’ailleurs idiot d’aller solliciter une autre langue encore, langue que je connais mal, d’ailleurs, pour exprimer cela. Mais il sera sans doute question d’idiome, ici encore, puisque ce que je recherche, n’est-ce pas, ce n’est pas tellement de comparer, et donc d’évaluer, deux pays, deux maisons ou deux langues, mais justement de détecter, comme par déduction (et donc par une pratique précise et continuelle d’émondage) les idiomes chez les idiots respectifs.
L’idiot est respectif, toujours, c’est pourquoi on le respecte.
Les comparaisons, en tant que telles, donnent de la donnée, et basta. Si on veut en faire quelque chose, il faut une opération supplémentaire (un amendement, donc), et cela s’appelle l’interprétation. La traduction : ce qui est donc toujours l’ajout d’un supplément. Ou la création du bruit. Le bruit est humain. C’est cela que nous faisons lorsque d’un idiot nous traitons l’idiome, et l’idiomisons. C’est un acculturation. Si elle n’était pas réciproque, elle serait fatale. Par chance, elle est toujours réciproque (si elle n’est pas réversible). Rien n’arrête autrui. L’altérité d’autrui est un champ d’infini et, sauf à le tuer, c’est-à-dire à le figer à jamais dans notre maison dans son état d’autre domestiqué, il échappera toujours à l’invite. Seul le cadavre que je dois enterrer dans mon jardin (ou la torture, ou le viol, en tous les cas la destruction de son intégrité) devient mon propre : je me le suis approprié, c’est-à-dire que je l’ai transformé (et non traduit) d’autre à même1.
Ainsi sera-t-il question d’Italie, et d’Italies.
Ce n’est pas que je cherche les causes qui font qu’on aime l’Italie : beaucoup de gens aiment l’Italie, pour des raisons sans doute diverses, et chez beaucoup de mes compatriotes, j’observe les effets d’une fascination. En quelque sorte, l’Italie représente pour eux (mais peut-être que je parle à leur place) une espèce de monde primordial, encore plus ou moins intact et vivace, et je sens en eux non pas tant une admiration ou une envie, je veux dire une jalousie, sans que ce soit non plus exactement une nostalgie de quelque chose qu’ils auraient, eux, perdu. C’est très difficile à décrire – et ici je parle pour moi – parce que dans mon cas l’Italie est inexorablement liée à l’enfance, au mythe de l’enfance, où alors le pays représentait une espèce d’Eldorado (alors même que je n’ai pas de racine italienne avérée, par la généalogie ou la chancellerie).
Certes il est de bon ton de se moquer des Italiens, et de leur attribuer tout un tas de comportements ou de réactions « folkloriques », mais je ne crois pas que ce soit tellement important, pas autant que l’aimantation que l’Italie suscite chez les autres peuples.
C’est d’ailleurs devenu un sport national, pour les Italiens, de se discréditer eux-mêmes, et de considérer que dans ce pays rien ne va, et qu’ils ne sont bons qu’à la paresse, l’embrouille ou le beau geste. À la longue c’est même assez agaçant de toujours les entendre se dénigrer, d’autant que cela s’accompagne souvent d’une adulation, tout aussi mythique, pour le modèle français, de la même manière que le Français prend toujours l’Allemand comme exemple de réussite (l’Italien prend de plus en plus l’Allemand, d’ailleurs, comme modèle, mais il est également inconsciemment au courant que la distance est moins longue à rattraper avec le Français).
Les deux pays donc se regardent en chien de faïence avec ce regard mi-béat mi-amoureux (je fais une différence), et dans la distance qu’ils s’imposent par cet égard, peinent souvent à se rencontrer. Un fossé, en fait, sépare les deux cultures. Un fossé d’incompréhension peut-être (la traduction), mais aussi, et de plus en plus, une déchirure sociale, voire culturelle, et qui elle est liée justement à l’histoire et à la politique contemporaine dans les deux pays.
Ramasser par pelletées les milliers de clichés comme des feuilles mortes, éviter de les propager, qu’ils ne s’envolent à tous les vents, au besoin en sélectionner quelques-uns pour les épingler comme des insectes dans la vitrine de Bouvard et Pécuchet… tordre le cou aux superstitions… tel n’est n’est pas véritablement l’objet de ces pages, mais qu’il faille parfois y passer me semble inévitable. À ce prix je tâcherai de proposer non pas donc la relation autocentrée d’un voyage en des contrées sauvages, mais un répertoire d’émotion, un secrétaire de témoignages, un nuancier de sensations, de goûts, de paysages tellement contrastés qu’en leur friction peut naître un pays, un état, une nation appelée communément Italie.
Les textes ont été écrits sur de nombreuses années, chacun autour d’un thème italien qui suscite, en moi, une vibration sensible. Le lecteur pardonne cet excès de confiance ; il ira sans dire que ces pages portent une lourde part d’autobiographie : j’ai simplement espoir qu’elles se muent en ce que j’ai appelé, par ailleurs, dans un livre sur la ville de Gênes, une nouvelle autogéographie.
- Ce donné toutefois mérite qu’on le rappelle, une fois pour toutes. Ne serait-ce que pour le confort de la lecture, puisque qu’on pourra faire allusions à des spécialités locales.
Donnée Italie France Rapport F/I Superficie 302000km2 632000hm2 2,09 Superficie zones humides 0,3Mha? 3Mha 10 Montagnes (>600m) 35% 16% 0,45 Collines (>200m) 41% 32% 0,78 Plaines 23% 51% 2,21 L. littoral 7782km 4853km* 0,62 Population 60,2Mh 67,2Mh 1,11 Tx de croissance -0,21 0,45 — Densité 200h/km2 107h/km2 0,53 PIB nominal 2,1MM 2,7MM 1,28 PPA 2,5MM$ 2,9MM$ 1,16 PPC 41433$ 42878$ 1,03 Tx de chômage 10% 8,5% 0,85 IDH 0,83 0,9 1,08 Régime Rép. parl. Rép semiprés. Nb régions 20 13 Nb tertr subrég. 107 provinces (93+14 métropoles) 101 départements (+21 métropoles) * métropole seule
Ce qu’il faut retenir de ce petit tableau, c’est surtout la densité italienne, plus forte que son équivalente française, par ailleurs accentuée sur le littoral par la présence de montagnes du nord au sud (Alpes, puis Apennins jusqu’en Calabre et Sicile !) ; même population sur la moitié du territoire ; en revanche le littoral est près de deux fois plus long en Italie.
Les régimes politiques sont différents. En outre, l’unité de l’Italie est récente (1861), quand on estime la naissance plus probable de l’état français au XVIe siècle. Je dis que si en France, l’Etat est fort et la nation faible, en Italie, la nation est forte et l’état faible. C’est un raccourci que je tâcherai d’expliciter.
L’unité minimale territoriale, en Italie, reste, pour moi, la ville, un centre, tandis qu’en France c’est plutôt la commune, une étendue. L’Italie se présente comme une confédération de villes, quand la France est dominée par une ville centralisatrice, sa capitale, et n’a que peu de grandes villes. De fait l’échelon territorial le plus politique est la province, urbaine, définie par son chef-lieu (et abrégé par un sigle composé de deux lettres de cette ville), quand en France c’est le département, une extension géographique nettement rurale (même s’il y a un chef-lieu) (et désignée par un chiffre, gommant toute territorialité, venu de l’ordre alphabétique des noms de départements).
La puissance productive est essentiellement la même ; mais les différences structurelles ont des conséquences : l’Italie jouit d’un tissu de petites industries dynamiques en pointe (2e industrie d’Europe) quand la France privilégie la concentration ; la France doit sa puissance géopolitique au complexe militaro-industriel, et notamment au nucléaire. En outre, l’Italie n’a pas de territoires ultramarins.
Le patrimoine culturel de l’Italie est incommensurable (1er poste sites Unesco).
L’Italie est un pays d’émigration, la France est un pays d’immigration.
L’Italie est un pays nettement catholique. La France est un état qui se déclare laïque, mais qui possède une forte souche catholique, parfois qualifiée de zombie (Todd). ↩