C’est un grand plaisir pour moi d’accueillir Pierre Ménard, de Liminaire, pour ce rendez-vous des Vases communicants. Mon texte, chez lui, fuoridentro.
On entre dans cet immeuble par une petite porte, dans l’entrée c’est à peine si l’on tient à deux, les marches d’un escalier très droit nous conduisent au deuxième étage. Il faut baisser la tête en montant pour ne pas se cogner, gravir les marches lentement. On arrive dans une pièce aux murs très sombres, la seule lumière provient d’une fenêtre aux rideaux blancs parcourus de motifs de fleurs et d’oiseaux qui se détachent noir sur le fond blanc. On s’approche de la fenêtre. La rue est en travaux, grise, sous une légère bruine, persistante. Quelqu’un nous appelle de la pièce suivante, on l’y rejoint en empruntant un escalier tournant, un demi étage plus haute. La pièce est très différente de la précédente. Mais toujours aussi sombre, les murs recouverts de carreaux de faïence de couleurs et de tailles variées.
On s’approche à nouveau de la fenêtre, la pénombre des pièces attirent vers cette ouverture lumineuse. On s’attend à voir la même chose que ce que l’on a vu quelques instants plus tôt, la rue grise, sous la pluie, les travaux, l’immeuble en face. Mais là, plus rien n’est pareil. Un autre paysage. Et cette phrase qui s’imprime fugitivement sous nos yeux : Celui-ci est le jardin que l’absence permet. Sans qu’on en comprenne bien le sens. Cette phrase reste un instant gravée en nous avant de disparaître. On la récite à voix basse tout en s’éloignant de la fenêtre à pas lents, pour rejoindre les autres dans la perspective étranglée d’un long couloir.
Il y a des vestibules, il y a des pièces d’eau, il y des miroirs anciens dont le tain est piqué, il y a des salles à manger avec une immense table pour seul meuble, et des appliques aux murs et des lustres d’un autre temps au plafond, il y a de longs couloirs où les voilages des fenêtres fermées volettent au vent, quand on regarde par la fenêtre on aperçoit un paysage changeant, pourtant de loin, c’est toujours le même, un immeuble moderne aux larges fenêtres métalliques, une faculté ? une administration ? un hôpital ? Personne à l’intérieur en tout cas, difficile de deviner de quoi il s’agit. Il y a portes-fenêtres qui ouvrent sur des petits salons, sur des chambres avec des lits dans lesquels personne ne dort jamais, il y a des chambres où l’on aimerait faire l’amour, il y a des escaliers en bois, il y a des vérandas, il y a des étages à tous les étages, des pièces en veux-tu-en-voilà, et toujours ces phrases qui s’inscrivent en nous au fil de la visite et qu’on finit par retrouver retranscrites sur un mur, lettre à lettre, dans un rébus de carreaux de faïence colorés.
Ecrire sauvage et puis les autres. Dans les langues, les sentiments.
Comment s’étonner de trouver dans cette ville si curieuse cet endroit décalé qui marque nos idées et nos rêves de son empreinte.
On se balade de pièce en pièce en se laissant transporter par les images qui se forment dans notre esprit. Et ces phrases qui apparaissent mystérieusement lorsqu’on s’approche des voilages des fenêtres. On soulève à peine le voile et la phrase se révèle à nous : Les épines d’un arbuste dont le nom nous échappe. L’effort d’attendre les autres à l’arrivée.
Un grand escalier en bois qui penche un peu, un parquet usé, des traces de peinture et des accrocs aux murs fatigués, une cage d’escalier monumentale en bois sculpté. Une bâtisse du début du XIXème siècle qui a vécu et dans laquelle on pourrait vivre.
Le plaisir du moment a seul quelque certitude. Plus de portes ni d’attentes, nous n’avons pas fait ce voyage.
Tous les Vases communicants de janvier : http://rendezvousdesvases.blogspot.com/2011/12/liste-janvier-grp-httplasuitesouspeu.html. Merci Brigitte !