Un texte de Pistes et sillages, une sĂ©rie de textes poĂ©tiques nĂ©s de l’Ă©coute des prĂ©fĂ©rĂ©s de la discothĂšque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
{Ă partir de Neu !, Neu !, 1973}
Orgie
L’heure n’importe pas mais je vais,
l’heure n’importe pas mais je vas (bis)
Je descends les escaliers, les rues, les villes, je cherche Ă rejoindre le plus loin possible sans pouvoir m’arrĂȘter. Les rues entre les marches, les villes entre les rues, les campagnes entre les villes, les pays entre les campagnes, les continents et ainsi de â, ainsi de suite.
Je trace. Comme on dit.
(La mer par exemple est une Ă©ventualitĂ© qui ne m’effleure jamais l’esprit, ni une opportunitĂ© qui m’inspire confiance ou m’enchante. Il faut bien comprendre que je n’ai pas spĂ©cialement d’idĂ©e du bonheur en tĂȘte, que tout ce qui m’importe est marcher, avancer, d’ailleurs serait plus juste. Je ne m’arrĂȘte pas, je ne m’arrĂȘte jamais, ce n’est pas pour bĂȘtement devoir contourner de l’eau mouvante en s’enfonçant bĂȘtement dans le sable. Mouvant. Ce n’est pas pour simplement songer Ă l’idĂ©e d’un bonheur possible. Si tu savais d’oĂč je viens.)
L’heure n’importe pas mais je vais,
l’heure n’importe pas mais je vas (bis)
J’avance, je trace, comme on dit, ce que je croise n’a peu ou pas d’importance, tous les visages sont les mĂȘmes dans les villes sont les mĂȘmes dans les paysages sont les mĂȘmes dans les planĂštes les tableaux les continents, au fur et Ă â, au fur et Ă mesure, et aucune de ces occurrences ne me concerne.
J’avance, ce que je pourrais voir du paysage, si je le voyais, ne m’apporterait pas plus d’apaisement que d’aversion. (Il faut bien comprendre que, si je ne me mĂȘle pas de paysage je ne me mĂȘle pas de paysage, mais si je ne me mĂȘle pas de paysage je ne me mĂȘle pas de rapports sociaux de visages de fonction phatique ou de propos de comptoir avinĂ©, je ne me mĂȘle de rien, tout m’indiffĂšre sauf Ă avancer. Je suis de ce monde-ci, celui qui avance avec moi, je ne pleurniche pas sur les Ă©paves qui encombrent autant qu’elles gĂȘnent mon passage.)
Je ne fais que passer, mais je le fais avec passion, rigueur, obstination, un certain rythme et une certaine fidĂ©litĂ©. Au fur. Et mesure. Au fur. Et mesure. Fur. Et mesure. Je ne suis pas payĂ© pour faire autre chose. Je n’ai pas Ă©tĂ© choisi pour ĂȘtre faible, je n’ai pas Ă©tĂ© choisi pour ne pas me distinguer. Je fais ce que je dois faire. & j’essaie de le faire bien, sinon Ă quoi â, sinon Ă quoi bon. Alors j’avance.
Je trace comme on dit.
J’avance, je trace, comme on dit, ce que je croise n’a peu ou pas d’importance, j’avance, je trace, comme on dit, ce que je croise n’a peu ou pas d’importance, j’avance, je trace, comme on dit, ce que je croise n’a peu ou pas d’importance, j’avance, comme on dit, je trace, ce que je croise n’a peu ou pas d’importance.
L’heure n’importe pas mais je vais,
l’heure n’importe pas mais je vas (bis)
Je trace comme on dit.
Je trace et je ne trace rien, je n’ai pas le temps pour ça, pour m’abaisser Ă laisser des traces. Ni laisser de paiements, ni dĂ©chets alimentaires ou Ă©lectriques, ni caoutchouc, ni empreintes purulentes dans cĆurs trop saillants, ni cicatrices, ni ecchymoses. Non seulement je n’ai pas que ça Ă faire, mais en plus je ne saurais pas comment m’y prendre. Je suis nĂ© pour avancer. Fait pour ça. Alors j’avance.
Je trace comme on dit. Les paysages dĂ©jĂ s’estompent, je ne suis plus que le pied, la jambe, je jambage, l’amble, l’emblave, la course, le courtage, et puis dĂ©jĂ , bientĂŽt, je ne suis que la course, l’itinĂ©raire, la destination. Le pays, le paysage. Je suis dĂ©jĂ lĂ â, je suis dĂ©jĂ lĂ -bas. PlutĂŽt, je suis toujours dĂ©jĂ lĂ , je suis toujours dĂ©jĂ lĂ -bas. D’ailleurs ailleurs, qui ici. Je ne suis jamais lĂ .
L’heure n’importe pas mais je vais,
l’heure n’importe pas mais je vas (bis)
Mettons que je ne vous ai pas adressĂ© a parole. Reprenez-la. Et laissez moi filer. Laissez â, laissez-moi ; laissez â mais laissez-moi ; laissez â mais laissez-moi. Je trace.
Comme on dit.
Offre spéciale
Dans le tunnel j’entends des voix.
Ce ne sont pas des voix dans un tunnel. C’est le tunnel lui-mĂȘme qui n’a trouvĂ© que des voix pour exister.
Ăcoutez ! Ăcoutez ! Vous m’en direz,
des nouvelles.
Le tunnel est une fonction de sa propre courbure. Il n’est pas certain que la lumiĂšre, son arasement jusqu’Ă l’extrĂȘme, n’ait pas son mot Ă dire. La lumiĂšre en quelque sorte justifie le tunnel par la fonction de sa courbure.
Ăcoutez !
Je ne vous le fais pas dire.
Apprenez Ă parler allemand Ă un mur de soutĂšnement ; vous aurez le mĂȘme rĂ©sultat. Le tunnel ne se dompte pas par de simples recettes psychologiques.
Ăcoutez ! Le mur courbe du tunnel (je dis ça pour aller vite, et pour les moins vifs d’entre vous), le mur tout en courbe du tunnel secoue.
Apprenez déjà à parler allemand, on en reparlera.
TÎles striées, rayures racines ciment. Ongles crissés. Dents froissées.
Le lexique du bĂ©ton n’est pas disponible, quatre-cents quatre.
CRISSE, CRISSE, CRISSE ! crie le tunnel, le boyau, la baleine, l’Ă©crevisse.
Blanchemer
Il n’y aura plus les voix qui parlent, mais Ă©coutez la plainte du tunnel.
C’est un peu comme si vous vouliez inviter les vagues de la mer Ă un gala de charitĂ©. C’est tout de suite une suite de complications sans nom qui Ă la fin vous retombent sur les bras.
Chut ! Ăcoutez un peu.
La plainte du tunnel, le chant du tunnel. Il expire comme une Ă©quation, vous ne trouvez pas ?
Allez donc savoir.
Chut ! Chut !
Avez-vous dĂ©jĂ songĂ© qu’il y a plus de paysages dans un tunnel que dans n’importe quel autre segment linĂ©aire ? Il touche sinon Ă la perfection, du moins Ă une haute estime de la symphonie des espaces.
Vous y songerez Ă deux fois.
Chut ! chut ! Ăcoutez, Ă©coutez voir !
C’est un mĂąle, je crois⊠TrĂšs amoureuxâŠ
Et⊠ah⊠il possĂšde une autre couleur en lui⊠chut ! Plus douloureux qu’une entorse, mais plus solitaire qu’un chagrin⊠Un mal propre aux pierres, aux pierres mĂȘmes. Un mal minĂ©ral, dĂ©vouĂ© au tunnel. Mycose ou cancer, Effritement le guette. Le mal du tunnel.
Qui le retourne comme un gant.
Chanceux
Sous, dessous.
Ăa tremble, ça bouge, ça respire.
Ăa patiente.
Ăa sent l’eau glacĂ©e. Ăa sent l’eau noire. L’eau vĂ©gĂ©tale des fonds.
Vagues, qui dĂ©chirent le trait ; tout Ă coup se recompose. L’obstination de l’eau touche au respect.
Dessous, on s’habitue Ă l’obscuritĂ©. On s’habitue Ă tout. Des formes dessinent des lumiĂšres comme des glissements de sons furtifs.
Vous qui restez en surface (toujours toujours en surface) (toujours tellement en surface) (adeptes de la surface) (droguĂ©s de la surface) (toujours du bon cĂŽtĂ©, mes saligauds) (toujours du bon cĂŽtĂ© du manche) (toujours positifs) (sur, dessus) (mes salauds) vous ne savez pas ce qui se passe de l’autre cĂŽtĂ©.
NĂ©gatif du pays
De l’autre cĂŽtĂ© : bordel, cris, clames, fureurs, fruits pourris, sirĂšnes, bombardements, Ă©chos d’acier, Ă©cartĂšlements, barres fondues dans la bouche.
Scie dent scie dent scie, matiÚre meuble, chairs flasques, découpage, boucherie.
Du doigt (sur la braguette), mĂšne la danse, petit coup de fouet, bottes de cuir, talon sur tĂ©ton, tu la sens, tu la sens ma chair ? Tu l’aimes mon sturm&drĂ€ng ? Est-ce que tu l’aimes ? Et mon aufklĂ€rung tu l’aimes mon aufklĂ€rung ? Et mon panzerdasein, tu l’aimes mon panzerdasein ?
Genou dans la gorge.
Tibia dans l’estomac.
On a du mal à déglutir, transit incomplet.
Du doigt (dans la bouche), mÚne la danse, fusil au vent, troupe échevelée et joyeuse, cuirs cintrés, corps saisis dans leur posture fatale. Coup de pied (dans la gueule).
Soudain Ă©cho
On repart (comme en quatorze).
Soudain Ă©chos
Du doigt (dedans), on repart. Et mon unheimlichkeit ? Tu la trouves bandante mon unheimlichkeit ? Tu peux toucher tu sais. Caresse-moi. Mets en branle ta petite armĂ©e. Parachute-moi. Envahis-moi. Anchluss-moi, meine kleine ubermarechalfĂŒrher. U-boat-moi. V2-moi. Si ça se trouve.
Fukushima mon amour !
Marche sur moi, dispose tes bataillons, prends position, prends position ! Sanctionne, sévis, écartÚle, censure !
Sanctionne, sévis, écartÚle, censure !
Soudains Ă©chos
On repart (comme en quarante).
DĂ©bĂącle,
débùcle, débùcle, débùcle, débùcle,
débùcle, débùcle, débùcle, débùcle,
débùcle, marche, débùcle, débùcle, débùcle,
marche, marche
débùcle, marche, débùcle, marche, débùcle, déplace
marche, marche, marche, marche, marche
débùcle, marche, marche, déplace, débùcle, déplace, marche
déplace, débùcle, marche, débùcle, déporte, déclasse, débùcle, marche
heiun, deuh,
déporte
déporte, déporte, déporte.
Chérie en mieux
Comptine du vaincu
(sur guitare pleine de mouchoir morveux pour moulin Ă larmes)
Sur la nappe qu’on avait Ă©talĂ©e dans les grandes herbes (elles nous piquaient le cul les cuisses ces connes), on avait sorti tout ce qu’on avait mis un peu en vrac dans le panier : les pots les couverts, les assiettes et les plats, et les fruits le pain les bouteilles. On nous l’avait racontĂ©. On agissait de mĂȘme. On travaillait de concert.
Et la radio.
Ce qu’on laissait tomber, de grosses fourmis noires comme un poing les emportaient sous l’eau.
Ă moins que ce ne soient des poings.
On rĂ©pĂ©tait ces gestes qu’on avait pris d’un tableau, d’une mĂ©moire, qu’on avait pliĂ©s soigneusement en quatre et glissĂ©s dans le portefeuille. On rameutait tout ça comme des fables apprises en classe, ou des couvertures brodĂ©es sorties de vieux placards. Les mites Ă©taient passĂ©es par lĂ , mais il fallait bien remettre le couvert.
Ce qu’on daignait sortir, les exocets venaient taillader leur base, et on se retrouvait nus, en sang, et bientĂŽt minĂ©ral.
Ă moins que ce ne soient des poings.
Alors on cherchait Ă s’Ă©tourdir, qui Ă embrasser le soleil (pff, crevĂ©), qui Ă se noyer de nage (pff, crevĂ©), qui Ă abuser de la convive la plus faible (en l’occurrence une nana qui nous servait de dĂ©potoir, de centre de tri, de vide-ordure, on la prenait Ă tour de bras et on la couvrait de tout ce que les muqueuses et les glandes retiennent de mystĂ©rieuses humeurs), en l’occurrence la plus liquide, elle â muscle comme un poisson, elle â glisse comme les souvenirs.
Le plaisir qu’on en tirait nous menait droit au but, c’est-Ă -dire Ă peine plus loin que la mort.
Ă moins que ce ne soient des poings.
On n’en revenait pas !
L’inĂ©dit tue.
Nouveaux Ă©chos
Pellicule liquide, qu’on crĂšve comme un Ćil.
Un pique-nique sur l’eau.
Ăa peut dĂ©gĂ©nĂ©rer.