Un texte de Pistes et sillages, une série de textes poétiques nés de l’écoute des préférés de la discothèque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
Je le traite en trois parties, chacune débutant par une kyrie de Guillaume de Machaud : Musique première 01 02 03
Sommaire
Kyrie II [Guillaume de Machaud]
Suite. La cour s’inquiète
et la souveraineté s’interroge.
Les missives séparent et
ailleurs louvoie la menace
de l’inconnu.
Dans le château une salle,
de mots écrite,
des mots choisis, brefs, secs, droits.
Des deux ou trois figures, une assise,
une autre pense,
une ne chante plus,
le silence est lourd, répond
au nu de la voûte
où la lumière glisse, puis tombe,
comme volatile meurtri.
Marche nuptiale d’Östa [trad]
S’il le faut, alors nous déploierons la robe de mariée
comme un étendard,
venez, approchez, doucement, venez observer
Utilisant le tyran et apostat comme d’un levier [Kassia]
Dans les tissus sableux des
comment ne pas revenir à la carte,
et dans le lit, la fadeur la langueur
d’une fin de matinée déjà lourde
des soleils et des suées de chaleur,
le serpent oscille,
dans la couche se glisse,
raviver le désir,
ému par le vin
raviver le cœur
du roi
son sang
pour que son sang
étreigne
la main sur la cuisse
la main sur le sein
la main
et d’un coup sec
oublier le sang
Synchronie n°2 [Moondog]
La chaumière est chaude,
nourrie d’un feu modeste et bon,
les brebis sont couchées,
on sert du pain au lait.
(ad lib., avec variations, dont)
le balai caresse la tomette
le chien au pied couché
un panier plein des fruits secs
le givre écarquille le verre
la neige tait la nuit
les flammes dansent dans l’âtre
le beurre roussit dans la poêle
on remet du petit bois
la nuit s’avance en une seule maison
Quodlibet [John Cage]
Pendant ce temps,
la grande ville aux rues sombres
mais éclairées,
la ville sans chaleur,
mais réchauffée,
la ville sans douceur
fait des lois,
mais des tourtes et aussi
la bière et remplit les journaux
de nouvelles.
Les rues de voitures,
les maisons de familles
les familles d’enfants.
Course, course,
on produit sans arrêt,
les crèmes, les chapeaux
les robes, les objets chromés.
Rien ne se passe comme prévu.
Mais se passe.
Tous ont vu [Pérotin]
Tous ont vu, arrivant dans la ville-citadelle, la munificence de ses décorations, la puissance de ses murailles et le nombre de ses soldats.
Tous ont vu la population, protégée derrière le luxe et la pensée objective, signifiante, du gouvernement des doges ou des servants. Le commerce était florissant, les arts s’épanouissaient…
Les villages autour, défendus par l’aura qui émanait du château, donnait confiance aux gens. Ce n’était certes pas le bonheur paradisiaque comme le narraient les servants qui répétaient leurs sermons, mais on savait d’autres lieux, pas si lointains, où des tyrans, des brigands, et toutes sortes de famines et de pestes ravageaient les terres gastes.
Ici on montait, en quelque sorte, vers une espèce de tranquillité où la faim et la soif, l’angoisse et le doute avaient été sinon gommées, du moins atténuées par le conseil.
2.
Dans l’intimité d’une petite cellule, là où ne passe ni le souvenir des grues, ni la promesse d’un cheval, entre les salles du conseil et les halles aux verdures, la petite cellule frémit et frissonne non du froid qui débute sa marche sur les collines environnements, recroquevillant les feuilles des chênes, mais pour le silence inquiet, dévoué, vers la grâce.
3. L’espace est de trois dimensions. Je ne parle pas de la hauteur, de la longueur, de la largeur, je ne parle pas des coordonnées. Je parle de la manière dont nous pensons l’espace, en société.
L’espace de la production est équivalent à la cité et au corps animal (cela est valable pour une cellule également, comme pour une espèce, et peut-être un paysage/biome) : là la colonie puise dans ses propres ressources pour produire les ressources qui lui serviront.
L’espace de l’exploitation est une zone de contact avec le dehors, le dehors du corps ou de la cité : dans cette ouverture, l’un rencontre l’autre. Il est l’équivalent des champs ou des bois de chasse, c’est une zone de contact entre l’identité et le grand divers, végétal, animal, etc. Pour le corps, c’est le lieu de la recherche de nourriture, mais aussi de la recherche de partenaire sexuel, pour la reproduction. C’est une zone d’enquête et de quête.
L’espace d’exploration est la zone au-delà de l’horizon. De la friction avec l’au-delà naît la communication, mais aussi l’art et la philosophie/religion. En effet, cette zone est l’apanage des humains qui peuvent franchir l’horizon (les autres êtres vivants ne quittent pas leur milieu et leur environnement) : c’est le secteur où divaguent les esprits qu’il s’agit de séduire ou de dominer, et où vaquent toutes sortes d’êtres symboliques, qu’il s’agisse de concepts, de formes ou de dieux.
En grec, la zone I s’appelle Astu, la zone II Chôra, la zone III Eschatai.
Et tous le savaient, puisque tels ils étaient faits. Tous le savions, car nous étions humains, c’est-à-dire un intermédiaire entre l’animal et le dieu. Nous quittions notre corps, puis nous quittions notre esprit. La plante ne connaît que la zone I, l’animal que les zones I et II. Seul l’humain connaît la zone III.
Bien souvent il s’y perd.
4.
Dans la solitude de cette chambre, sobrement meublée, et sans décoration, on ne trouve ni l’exhortation de la faim, ni le tribut de l’hérédité. Entre les fontaines aménagées au jardin, et les latrines délaissées au pied de la muraille, dans la couche encore tiède, la jeune femme se donne à elle-même, dans le désir de l’oubli et le plaisir de la matière, une main sur son sexe, une autre sur son sein, la jeune femme se masturbe, en soupirant en elle-même, sans le faire savoir, loin de l’été qui vient écraser les céréales de son or, dans un silence inquiet, dévoué, vers la grâce.
Les trois parties : Musique première 01 02 03