Un texte de Pistes et sillages, une série de textes poétiques nés de l’écoute des préférés de la discothèque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
Je le traite en trois parties, chacune débutant par une kyrie de Guillaume de Machaud.
Sommaire
Kyrie I [Guillaume de Machaud]
Ouverture. La plaine, la montagne, entre les deux un château.
Isolé, perdu dans les pages, et les sables, et derrière des eaux
de la mémoire ou du rêve.
Dans le château une salle,
toute de pierres parée,
taillées, blanches et ocres et jaunes.
Deux ou trois figures, une assise,
les autres debout,
de lourdes vêtures répondent aux lourdes tentures
qui décorent les murs nus.
Les lumières sont rases, verticales,
des meurtrières.
Pleurs de Rachel [Christopher Tye]
On s’ébroue, une grande table, ou quelque chose de similaire,
un livre, un poème
épique.
On passe le temps, on s’ennuie peut-être un petit peu,
mais l’ennui ne dure pas.
Il passe, il passe comme passe le temps, l’eau et le chant.
Il passe comme passe le héros, d’une page à l’autre.
Långdans d’après Byfåns Mats [David Lamb]
Cirrus qui s’échinent puis se dispersent,
lames défaites,
les oranges frappent en pleine mer
l’écume d’or.
Ils arrivent, ils arrivent,
cahin-caha,
éreintés, embossés par les éléments et les matières,
ils reviennent et si tu crois
qu’ils n’ont pas d’histoires dans leur besace
dans leur gourde,
non.
Le feu délimite un horizon.
On fait le feu pour accueillir, à l’intérieur de l’horizon.
Le feu définit la maison,
se balançant couci-couça
dans la maison
aux ors d’écumes
et de chansons.
Lachrymae antiquae [John Dowland]
Dans le jardin déjà
l’automne surprend
Les fruits sont mûrs et
les nuits encore pleines
des êtres de la nuit
Mais déjà les lucioles
les feux-follets
ont regagné leur couche
De la mer + sombre étendard
sourd, comme un pointillé
c’est la main qui tremble.
Les arbres s’épanchent
déjà à l’orée
des roseaux.
Toutes ces phrases répétées
à chaque fois divergent
Il y a finalement la chance
d’une plaine de blés,
de masures amènes
et lavées.
C’est une rose, dans le jardin,
qui donne comme pour se mirer,
dans les eaux noires
des douves.
C’est une rose, un chèvrefeuille
qui s’épanouit l’espace
d’un instant d’été
dans l’hiver qui ne quitte jamais
les salles noires.
Psaume [Arvo Pärt]
Le tirant la corde le mouvement l’air
Le tirant de la corde dans le mouvement de l’air
L’accent mis dans le geste du tirant, l’archet épousant la corde
et le mouvement de l’air
Le dégradé de l’accent mis dans l’élancé du geste,
du tirant, du tirant et du virevoltant,
au poussant
épousant
le trille de la corde
dans les ronds fait par le mouvement de l’air
De l’air… dans le mouvement, une esquisse
s’immisce, un sourire, une épine
une voix droite et rigide et fragile,
qui porte dans l’air, dans ses mouvements,
comme une corde, tirant, tirant.
L’air, le mouvement, la corde, le tirant1.
Deux études sur d’anciennes gammes grecques [Harry Partch]
1.
Les corbeaux, les rouleaux, les ambassades ont
porté de l’au-delà du lac et de la lande,
de l’au-delà des monts
de l’au-delà du détroit et
de l’au-delà des déserts
la nouvelle de la rose,
du chèvrefeuille.
2. Les voix vont bon train
enjambent, caravane,
déserts, détroits, monts et landes,
au bord du lac,
la nouvelle d’une rose des sables.
Une litanie nouvelle,
des monnaies d’étain,
l’écriture,
l’aubergine et le poivron
la menthe et basilic
la soie et le lait
sucré, décoré d’amandes
de pistaches
Les rois du froid du granite
ont subitement faim
repoussent les grasses volailles
et le silence du vent
sur la neige.
Ils vont enfin payer.
Frère Dragon [Jack Body]
Le marché détale ses produits à perte de vue,
les machines machinent, la foule s’amasse,
les fruits, les légumes, les viandes, les poissons,
les tissus, les outils, les ustensiles, les produits,
les alcools, les vins, les bières, les épices,
les cafés, les chocolats, les thés, les herbes,
toute la ville se concentre en son marché
qui détale ses produits à perte de vue,
les machines machinent, la foule s’amasse
les alcools, les vins, les bières, les épices,
les tissus, les outils, les ustensiles, les produits,
les fruits, les légumes, les viandes, les poissons,
les cafés, les chocolats, les thés, les herbes,
les tissus, les outils, les ustensiles, les produits,
les cafés, les chocolats, les thés, les herbes,
les alcools, les vins, les bières, les épices,
les fruits, les légumes, les viandes, les poissons,
toute la ville en son marché s’amasse
toute la ville en son marché s’amasse
ses produits perte de vue,
machines, foule
herbes bières outils fruits, les , les , les ,
poissons produits vins chocolats
tissus, viandes, cafés, ustensiles
épices alcools thés légumes
toute la ville toute
les comptes les monnaies
les voix les chants
les hymnes et les bêtes
le boucan et la puanteur
et la lumière et le silence
et les parfums et l’ombre…
Ancêtre totem [John Cage]
Ours clopine et avance dans la forêt en quête d’une rapide
Truite qui glisse à son encontre d’une pierre d’eau
Guêpe volatilise qui s’ammuit dans les feuilles,
Ours truite et guêpe
ou quelque ce soit, un escargot
une tortue,
un ver
Relance
relance
relance
relance
relance
Lance
tombe et retombe de la feuille à l’humus à l’eau
tombe de la feuille à l’humus à l’eau
de l’humus à l’eau
de la feuille à l’humus
Pied !
- “The focus is on two elements – stressed and unstressed syllables. They have been given a musical value. The unstressed syllables have been assigned a one-voice melody line, while the stressed syllables are always marked with a third. These two elements exist regardless of the meaning of the word.” ↩