La littérature, dans les salons, peut germer, mais jamais ne se fortifie. La littérature croît sur des sols maussades. Il y faut des friches, des chantiers, des mauvais sols tantôt pollués, tantôt dévastés.
Cela amène quelques germes de mots, de phrase, parfois la poésie. Puis cela s’entretient. Cela provoque, cela permet, cela procure. D’autres textes se greffent, comme une famille en suspens, retourne aux racines et le tout grandit et s’étend.
Les boulevards déserts, les friches industrielles, les ravagés du cœur ou du cul, les impossibles rencontres, les morts encombrants, les mémoires trop lourdes, les murs décrépis, les visages absents, les rognures de la vitre, les copeaux d’innocence, les viols, les macules sur les draps, les neiges noircies, les habitudes brisées, la vaisselle cassée, les meubles balancés par les fenêtres, les tromperies, les gratitudes, la confiance, l’amour fou, les abus, les éclats, les errances, les artifices, les amitiés otages, les paysages décalcifiés, les terrains vagues, les zones à revitaliser, les bordures et les bandes, les périphéries, les zonas, les ceintures mécaniques, les liens d’acier, les sous-vêtements, les eaux poisseuses, les peaux défaites, les larmes venues, les horizons trahis, les parasitismes, les maladismes, les nomadismes, les étrangers, les non-humains, les non-vivants, les non-blancs, les supposés, les repoussés, les à-peu-près, les bancals et les frivoles, les poils, les liqueurs du corps, et la merde.
Tout ce que – et la liste est loin d’être exhaustive – toute notre culture repousse, réduit, dissimule, ignore, occulte ou enfouit. De là , de ce socle acide et peu stable, une parole peut prendre, se répandre comme une prairie et promouvoir l’inquiétude…