— Qu’est-ce qui m’approche, me rapproche de toi ?
— Le remords peut-être ?
— Non franchement, réponds-moi.
— Ce qui te rapproche de moi… De te taire…
— Comment puis-je me taire ?
— En concentrant tes efforts.
— En te regardant.
— Si tu veux.
…
— As-tu accompli ton désir ?
— Mon désir est trop loin de moi.
— Alors avance.
— Une force m’en empêche.
— Une force ?
— Cette force, c’est la pudeur, la peur, c’est comme si le vent détournait les pluies du sol.
— Comme une tâche obligée ? Comme un empêchement de dernière minute ?
— Oui.
— Comme le remords.
…
— Ouvre les mains et tends les bras.
— Si tu crois que ça me rapproche…
— Non, mais ça donne de l’air. C’est ce qu’on appelle l’amour.
— Je ne suis pas amoureux ; je suis désirant.
— Tu es comme l’enfant ?
— Je suis l’enfant.
— Tu es capricieux ?
— Je suis le caprice.
— Es-tu l’été ?
— Je suis le crépuscule.
— Es-tu mâché, je veux dire gommé. Es-tu flou ?
— Mon cadre s’estompe.
— Qui es-tu ?
— Je suis l’improbable.
— Alors tu existes.
— Non. J’existerais si je souffrais. Je ne souffre pas : j’ai soif.
— Soif de moi ?
— De toi, des autres, du monde, du commerce, du travail, des voitures et des villes, des cinémas, des voyages et photographies. Des cicatrices.
— Le manque ne te fait pas mal ?
— Un manque est un manque. Au pire il se transforme en regret, mais d’ici-là, il est aveugle. Le manque ni le désir ne se répètent.
— Tu confonds manque et désir ?
— Non, le désir va s’amplifiant, mais il a besoin de moi. Le manque se passe de moi? Le manque se passe de moi jusqu’à ce que je lui manque encore.
— Tout ceci est abscons. Ce dialogue est trop obscur. Tu n’es pas clair. Tout est trop posé. Il y a la colère
} Les mots sont posés, comme au Scrabble. Mais ils cachent à peine le trou noir qui les porte. Toutefois, n’eussent été nos mots, nos corps auraient parlé ?
— Laissons parler nos corps.
— Il n’y aura ni syntaxe, ni grammaire, ni règles, ni retenue.
— Non mais tu seras là et moi aussi. Nous lâcherions nos masques, débiles et inutiles.
— Eprouves-tu du désir pour moi ?
(…•…)
C’est une longue étreinte, ça n’est pas une étreinte. Il s’est allongé et, penchée sur lui, un éventuel spectateur ne verrait rien de ce qu’elle fait. Il se cambre, cherche à la déshabiller, tant bien que mal, passe la main sous son pull, elle semble impassible, insensible à sa caresse, prolongeant le va-et-vient avec élégance, puis lorsqu’il vient, il serre sa poitrine, elle a mal de surprise. Elle relâche le liquide le long de son sexe. Une larme lui point à l’œil qu’il ne voit pas, la larme venue de l’acéré contact. Elle est décoiffée, dépenaillée, défaite. « Dis-le tout bas au creux de mon épaule. »
Il l’embrasse goulument. Il se rhabille et, prestement, sort.
Lorsqu’il est sorti, elle pleure à larmes épaisses dont on ne sait, si elles toucheraient le sol, son sol.
La nuit elle se rétracte sur le duvet. Elle serre les draps comme se rattraper, ne pas tomber, ou pour les étrangler.
La nuit s’étale de brume et de magnifiques éclats de lune. Elle ne la voit jamais.