J’ai rêvé une nuit du Magasin. Un monde en soi, un contenu. Comment cela est agencé. Ce qu’il s’y passe. A quoi ça sert. Des phrases simples, des situations d’autant. Cartographier le lieu ne suffit plus : ici questionner l’habiter.
Parmi les histoires les plus farfelues qui circulaient dans le Magasin, il faut bien le reconnaître, figurait en tête l’idée d’un second Véhicule.
Nous savions que le Magasin évoluait dans un espace plus grand, un univers qui nous entourait, nous soutenait. C’était un mouvement lent, imperceptible aux vivants. Seuls les morts pouvaient en avoir l’expérience, et c’est ce qu’ils racontaient le plus souvent à travers leurs visites.
Pour ce qui était du quotidien, ce n’était qu’un mythe — un de plus — dans lequel il est question d’un second véhicule, parfois appelé le Magasin 2, l’Entrepôt ou simplement le Véhicule, le Vaisseau.
Ce second véhicule serait constitué, comme le Magasin, d’une succession infinie de salles, de lieux, de recoins, et porterait à travers l’univers une quantité de personnes qui, en attendant un but incertain, vaqueraient comme nous à des occupations diverses : aimer, trahir, tuer, et travailler.
Toutes sortes de mythes secondaires accompagnaient justement ce dernier, et des plus extravagants : ce véhicule ne serait habité, pour certains, que de femmes. Pour d’autres, ce véhicule serait plein de monstres affamés en quête de nourriture. Ce véhicule aurait été envoyé par les habitants d’un corps céleste dans l’intention de rencontrer d’autres habitants dans d’autres mondes. Ce véhicule serait composé d’exilé du Magasin qui, cédant tout autant à la panique qu’à la nécessité, auraient trouvé le moyen de construire une machine afin de cherche un corps céleste. Ce véhicule serait un corps céleste…
J’en passe. Quoi qu’il en soit, les Sages ici préfèrent ignorer qu’on puisse prendre pour argent comptant l’existence d’une telle aberration, et nous exhortent à réprimer sévèrement les parents les amis qui en feraient mention dans un dîner de famille ou lors d’un échange de travail. Ce que généralement nous faisons (avec les enfants, le plus souvent, bien entendu).
Certains, qui se sont retirés dans les arrière-cours ou en périphérie, ont fomenté des mouvements plutôt radicaux expliquant la nécessité de connaître l’existence d’un véhicule secondaire et cherchent donc à pénétrer jusque tout en haut de la Tour, où se tient le Conseil des Sages et le Minister. Ils sont activement recherchés par la police, notamment depuis que le Minister a nié l’existence d’un secondaire, et rejeté en bloc, avec motion du Conseil, leur requête.
Les discussions ont reçu leur coup de grâce lorsque ces sectes ont commis l’attentat auprès des Vélines du Minister, dont l’une a succombé à ses blessures et une seconde demeurera — nous le savons à présent — paralysée à vie.
Sa colère était rouge, et les sanctions ont été justement implacables : les baraquements des marginaux ont été rasés, les principaux chefs des insurgés déportés au Sel. Quelques-uns en ont réchappé, pour mourir rapidement d’empoissonnement ou de délation.
On ne rit pas impunément avec les chiens, les femmes et les autos du Minister. C’est la loi ; ils savaient ce qu’ils encourraient.
D’autres mouvements ont eu lieu, beaucoup moins radicaux, et on dit également que le chef de l’un des plus en vue actuellement aurait même reçu l’honneur de siéger au Conseil des Sages. Fabricant de moteurs de propulsion, il est également l’arrière-petit fils du contremaître général, oui, celui-là même qui avaient posé les bases de notre nouvelle constitution, et donc de la Démocratie-à-venir.
Pour ce qui concerne le Vaisseau II, jusque ici, et depuis ce jour, il n’en a plus été question ni dans les Médias, ni dans les Rues. Les gens se tiennent tranquilles et, pour autant que je m’en souvienne, ou autant que je sache — à ce point, c’est égal — leurs préoccupations sont centrées plus évidemment sur les graines, les heures et le loisir.
C’est le signe — faut-il le rappeler — d’un peuple qui s’est extrait à force de travail, de courage, de volonté et de sacrifices, à la barbarie de nos anciens, à leur manque d’innovation et leur incurie devant la Loi.