Annexe de Féroce, le Livre de Sara, en neuf morceaux.
Sara porte ses lignes sur son cœur, peut-être sur son front ou dans ses yeux, elle ne se cache même plus.
Ce sont des âmes d’ancêtres qui nous occupent, substituant leur drame éternisé à notre juvénile attente, à notre patience d’orphelins ligotés à leur ombre de plus en plus pâle, cette ombre impossible à boire ou à déraciner – l’ombre des pères, des juges, des guides que nous suivons à la trace, en dépit de notre chemin, sans jamais savoir où ils sont, et s’ils ne vont pas brusquement déplacer la lumière, nous prendre par les flancs, ressusciter sans sortir de la terre ni revêtir leurs silhouettes oubliées, ressusciter rien qu’en soufflant sur les cendres chaudes, les vents de sable qui nous imposeront la marche et la soif, jusqu’à l’hécatombe où gît leur vieil échec, chargé de gloire, celui qu’il faudra prendre à notre compte, alors que nous étions faits pour l’inconscience, la légèreté, la vie tout court…
Et que faire avec cela ?
Elle travaille, Sara, elle a trouvé une place de cuisinière-plongeuse dans un bouiboui de Bab-el-Oued. Son livre toujours sur le cœur, elle amasse et le pécule qui lui servira pour tout balayer et les informations, à partir de rien, un cachet de la Grande Poste, une graphie hésitante, un nom improbable et imprononçable, et pour toute généalogie un amas cerclé de bombes.
Sur l’échec chargé de gloire, elle voudrait chérir la vie tout court, la légèreté, mais ses mains et ses pieds sont de fontes, ses yeux de grenaille et sa peau de débris, de fragments.
C’est elle qui est stérile de son histoire, et rien ni personne, sauf un évènement incommensurable et pour tout dire impossible, comme un tremblement de terre, une invasion extra-terrestre ou une explosion nucléaire, qui seul le serait à même, rien ne peut chambouler l’ordre des choses qui lui a été imposé et dont elle ne peut dévier d’aucune façon, qui ne soit vulnérante.
Elle est une épine, Sara, et pour cela embrasse l’accroc. Elle n’est pas un personnage de l’aventure : elle est de l’aventure ce qui est imprévisible et qui pourtant arrive.
Elle est ce qui vient, Sara, elle est l’aventure même.
Elle vient.