Annexe de Féroce, le Livre de Sara, en neuf morceaux.
Mars, la guerre, c’est le printemps aussi, et la petite Sarah embellit, encotonnée dans son chagrin. C’est l’école et l’école c’est les autres. C’est l’extension du domaine de la défense. Les autres. Les mains, les regards, les rires, et les paroles, qui arrivent en rondes, en cantilènes, en jeux plus ou moins naïfs.
Sarah ne chante pas encore mais elle ne parle toujours pas. Elle est sans voix, elle est hébétée. Abêtie par la bombe. C’est une maladie qui dure, passe les saisons et les années.
Les siens, ceux qui l’ont recueillie, ceux qui l’éduquent et l’élèvent et la nourrissent, l’envoient finalement à l’école où elle puisse enfin élaborer un langage articulé. Elle reste coite, mais non quiète.
Par une circonstance alambiquée qui associe une “sœur” compatissante, un livre d’image et malgré tout le maigre labeur des bancs scolaires, Sarah parvient à dessiner des formes, sur une belle page de vélin, la belle page de vélin sur laquelle des formes se dessinent est immaculée, elle est vierge et l’auteur est conforté par ce cotonneux marchepied nival.
Parce que la page blanche immaculée, dans le monde de ruines, de poussières et de crasse qui est le monde qu’a connu Sarah jusqu’aux pus loin que puisse atteindre son souvenir, au creux de cette niche salvatrice dans laquelle l’a bousculée le destin, dans cette salvation qui est devenu sa croix, son malheureux destin.
C’est triste à dire, c’est triste à écrire, mais c’est comme ça, on n’y peut rien, la petite Sarah est depuis ce jour claustrée, enfermée dans cette seconde où elle se retrouve à la frontière, où elle a vu la mort qui l’a dédaignée, où elle a perdu tout le reste, les siens, sa vie, son père, ses frères et sœurs, et sa mère, et sa croix est son retour, son enfer chaque jour repavé, chaque jour repassé, et ce tristàdire, ce tristàécrire, écoute la voix qui le porte et cette voix qui le porte elle se déduit des écrits tristes et dits tristes posés sur cette nouvelle vie qui s’appelle la page. Et Sarah va écrire, écrire sur ce nouveau support, cette table rase, soufflée par la bombe ? mise à nu, dénudée, et la responsabilité lui revient, cette responsabilité de tout-dire – chose qui sans doute – le tout – fera défaut à tous ceux qui se soumettent au contraire à la loi – fera d’elle l’auteur, l’auteur sans limite du texte sans borne, ce salamalec interminable, mille et deuxième nuit qui jamais ne cesse, jamais ne trouve d’exutoire car d’exutoire il n’y a pas, il n’y a que le texte, le débit, le délire…