Dans nombre de débats actuels, on tourne autour d’une seule idée : celle du “tous pourris”, insinuant que la politique est mauvaise ; mais c’est cette idée qui est mauvaise. En effet ce n’est pas la politique qui est mauvaise en soi, c’est bien plutôt qu’on soustrait la politique à l’ensemble des débats sur l’actualité.
Or ceci est un geste capitaliste : son travail est de réduire à sa portion congrue l’idée même de politique. En laissant croire par exemple que seuls les problèmes économiques importent. Or les problèmes économiques ne sont rien d’autre que de purs problèmes politiques, puisque c’est précisément à la politique qu’est dévolue la mission de choisir les modes de vie d’une société organisée.
Une phrase toute bête comme « La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres » nous engage déjà à ne plus penser. Par une telle sentence, on sous-entend qu’il n’y a plus de rapport de force (qui puisse alimenter au moins une utopie) possible : or le rapport de force est au cœur même de la politique. En d’autres termes résonne déjà en cette formule l’autre formule rebattue à l’excès (notamment par ses “opposants”) : There is no alternative.
La démocratie, au sens capitalistique du terme (c’est-à-dire là où l’économie se substitue à la politique, i.e. vous aurez la paix tant que vous consommerez), et telle qu’elle s’impose de plus en plus violemment à tous les peuples de la terre, n’est précisément pas la démocratie rêvée et mise en œuvre par quelques illuminés athéniens du passé ; elle est son contempteur ultime : le néo-libéralisme, nourri hélas ! aux accents révolutionnaires du “progrès” “socialiste”, entretient sous ce titre usurpé le flou et peine à masquer le mépris du peuple et la dévalorisation de l’Etat, de la nation, de la souveraineté populaire — seuls outils garants de la juste répartition des richesses, de l’accès aux services publics, l’eau, l’électricité, les transports, l’instruction, la justice, etc.
Se défaire du chant des sirènes libérales n’est pas une mince affaire, notamment — mais pas seulement — parce que le brouillage politique porté à dessein par le prétendu clivage droite-gauche fonctionne à plein régime — et que nous l’avons tous intégrés (moi compris) comme nous avons intégré les réflexes consuméristes libéraux.
En effet, comment mettre en œuvre le geste, pour le coup révolutionnaire, que désire ardemment le néo-libéral (destruction de l’Etat, ou plus exactement sa mise sous tutelle et perfusion, et de la nation, censure de la vox populi, anéantissement de tout rapport de force), en se privant du boulevard idéologique ouvert par une certaine opinion lancinante de gauche qui se veut antiautoritaire, hostile à la notion de nation, c’est là où le bat blesse, militante de l’hédonisme individuel, catégoriel ou communautariste ?
Car s’il prône le phalanstère et l’égalité universelle, le militant de “gauche” inconséquent revendique aussi le droit des minorités, le contrat, et le plaisir individuel. En un mot il actionne les manettes du néo-libéralisme.
La « bonne volonté », trop souvent synonyme de bien-pensance, ne suffit pas.
La bonne volonté ne fait pas de politique ; elle peut être généreuse, bien sûr, elle peut être sincère, évidemment, mais elle est aussi bavarde — et souvent inefficiente (même debout). Le capitalisme lui, n’oublie pas de faire de la politique : il en fait quand il veut accoucher de post-nations réglées sur des traités et contraires aux choix du peuple, comme l’Union européenne l’incarne si bien.
Si on voulait changer les choses, on se rappellerait de la politique, c’est-à-dire qu’on mettrait les mains ou les poings dans le cambouis, au lieu de se payer de mots, de hurler avec les loups ou de simplement s’aveugler.