Un texte de Pistes et sillages, une série de textes poétiques nés de l’écoute des préférés de la discothèque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
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Les lianes
C’est une ville dans la steppe. Pour dit.
Rien d’extraordinaire non plus. On entend, dans une ruelle du centre-ville, de la casbah, le son d’une fête qui s’avère être une séance étrange, à la manière d’un rituel.
L’étranger est toujours étranger, quoi qu’il advienne, et c’est même pour ça qu’il vient voir.
Des voix qui s’étagent autour d’une chaise, d’une forme, d’une silhouette, d’une chevelure.
Les murs dansent. La pluie s’est éteinte, de la rue monte le goût âcre de la poussière.
La chaise semble flotter, deux ou trois centimètres au-dessus du sol.
Les voix.
Quelque chose se défait, se détache, les voix se décalent.
On repart, l’étranger est mis plus loin, à l’écart, les voix, les voix…
Ça repart, on ne comprend plus rien, les voix ont changé de couleur, les murs s’envolent, tout tourne,
la chaise avec.
Au sol l’appendice
Dans un bar, quelques temps plus tard.
Au zinc, elle se tient droite, éphémère.
Mais comment l’approcher ?
On regarde autour de soi, il n’y a guère d’ennemi.
Tout est plutôt calme.
Elle ne regarde rien.
Avance.
Approche.
Regard.
S’installe.
Approche.
Regard.
Avance.
Assied.
Au milieu des verres éparpillés.
Une table de fer, émaillée.
Et le daron ronchonne.
Suspend.
Attend.
Suspend.
Elle se lève, elle la suit.
Deux, trois pas.
Ah, ça a l’air de passer… ça passe.
Elle lui prend la main.
Puis un bras.
Un autre.
Mais tout le public observe.
Non.
Ils sont là. Tous les yeux sont là.
Ils sont là.
Rires.
Voix.
Ordres.
Insultes.
Elles se lâchent.
Ce n’est pas.
Pas.
Pas possible.
Tina
Le voyageur passe de marché en marché, avide, mais curieux, et sans véritable but, ennuyé par les épices, emporté par les langues, les sons, les cordes et les vents.
Il voit bien les rites, les obligations, les silences, les protocoles..
Parfois il bois, parfois il danse, maladroit, timide, mais pourtant.
Ils l’invitaient, et il dansait… il buvait… de moins en moins en moins adroit, et effronté, mais pourtant.
Pourtant.
Der Tratsch
La voyageuse est arrivée dans un autre cirque.
Une autre combinaison des esprits, et reste à l’écart. Une arène, et des figures, au centre, interrompue par une espèce de prêtre.
Elles entrent en scène, les formes.
Une, deux, trois formes, qui se retrouvent sous les feux.
Le prêtre détale sa litanie, incompréhensible.
Gerytchépu lé tchumai
Gery tom malon guéry tom malon mayy (bis)
Mé shamayy!
Guétchépu le tchumai ! (ter)
Quand cela cesse. Chronique d’une rue triste et commune. Les portes se sont ouvertes.
Ou se sont fermées.
Do you like Mustar ?
Caravane dégingandée,
procession funèbre éméchée
cirque de zingares qui entrent en ville
mariage non voulu,
fanfare psychiatrique
comice agricole ou politique
maisnie aveuglante
défilé déroutant
manifestations de plantons
peuple déraciné
on ne sait pas
la nef des fous va, et vient
Mustar ? Nié strraj, nié strraj !
Six mage et un fou
Les sept sont donc assis de part et d’autre de cette table énorme, disproportionnée ; tellement grosse qu’on dirait des enfants.
Tchey !
On ne sait pas, d’ici, ce qu’il se dit, on ne voit que les verres hissés vers leur trinc : tchey ! Tchey !
Celui qui parle le plus ne paraît pas le roi.
Porte.
Amène réalité simple. Trois ou quatre mots, mais soudain, la porte de referme (rouvre ?).
Aquarium des délices. Balancent les eaux du réel. Tranquille. Le mage reprend : … »sholibraya za’ may ! » et encore « eu zce’ ma-may (i ssu)… », et surtout « h’vanegueueu ! »
Boîte des arômes : les corps sont maintenant entrés, et peu à peu se délassent, se testent et se ramassent, (h’vanégueueu !), et dans un cabriole soudaine : clos !
Salagou
Il n’y a pas véritablement de récit : il n’y a pas vraiment de chronologie, ni même d’évènements susceptibles d’êtres racontés.
Il y a une étendue d’eau, une auréole sur la terre, vaste, un étang, un lac, sans doute, et de là vont et viennent des sons, pas vraiment des musiques, des mots, pas vraiment des histoires.
Tout autour la lande herbeuse. Et des tas de cieux.
La mage ou le fou est là, il traverse la pellicule. L’opercule.
Les prisonniers sont assis, yeux bandés, dos à dos, pieds et points liés.
Mili malimu tchai ! …
Est-ce un sermon ou une conjuration ?
Un procès ?
é’ Michamandé ciao !
Une récusation ?
Ou une initiation, on ne sait.
L’eau du lac, claque, claque.
L’eau du lac claque.
La lune point.
Les prisonniers s’allongent, tant bien que mal.
Mushtarr-ff-ay… mushtarr-ff-ay !
Les prisonniers se relèvent, après cette avancée de la lune, et se mettent en file indienne. Un à un, l’un après l’autre, ils descendent dans le lac comme on va chercher une bouteille à la cave.
Imdir Askan
Après un énième poème qui est un psaume, composé de deux fois un quatrain, on revient au centre de l’arène.
Ohé, les gars, et la sarabande repart.
Beaucoup de monde tout à coup, sur la piste.
Beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup
de monde.
Le cri.
Stop.
Gorge sale
On retrouve une chambre close, si grande qu’elle pourrait être un salon, dans lequel on aurait placé une grande couche sans ornements.
Est-ce une fois encore un rituel ou une capture de la réalité ? Les commentaires vont bon train. Les mains guillerettes s’activent. Vu de loin tout semble normal, joyeux même. Mais quand on passe la membrane, qu’on ajuste comme des lunettes, on voit bien que ce sourire n’en est pas un, mais un rictus.
C’est un combat. Un combat sur une couche. Et on ne connaît ni l’enjeu, ni le rapport de force, ni vraiment, finalement, le vainqueur.
RichtaÏ
C’est l’histoire d’une épeire
dans une cité de marchands, un port,
des murs oranges et jaunes,
beaucoup de sable,
et les embarcations,
les tonneaux, les balles,
les épices, les parures,
les bijoux, et le commerce de tout
ceci.
Dernière étape avant la toile.
Scratch mama hisse
On a ouvert le camp de détente.
Le loisir à toute heure, suivez le mirador,
l’alligator 724.
Une petite fête organisée par le kapo.
Des squelettes décharnées l’entourent, ils sourient, mais c’est un effet
du barbelé.
Crissements et coups de fouet.
Gémissements.
Souffle de tout un charnier,
qui expire.
Bienvenue dans notre ‘una ‘ark.
Le kapo embroche ses squelettes et tous se dirigent vers le petit train.
Tandis qu’on scie des rats.
Qu’on vide de leurs boyaux, de vieilles
bagnoles.
Tandis qu’on pisse sur des pylônes
de noirceur.
Un client cherche subitement les toilettes.
Il n’aura plus besoin bientôt,
de toilettes.
Sans plus rien qui dépasse, il rejoint le petit train.
Qui entre dans le manège de la fin.