Un texte de Pistes et sillages, une série de textes poétiques nés de l’écoute des préférés de la discothèque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
Sommaire
Colons
Nous nous sommes rendus, parce que plus loin c’était la mort. Ou le désespoir, ce qui est la même chose.
Personne ne peut mettre un pied sûr dans le canal de l’île.
Au-delà, les monstres.
Nous avons donc fermé là notre marche.
Et vous êtes venus acheter d’abord les tissus, les macérations, les viandes, les poissons,
puis la confiance,
puis l’honneur.
Vous nous avez pris tout ça.
Toutes ces choses.
Nous les reprendrons.
Ne désespérez plus. Ne mourez plus.
Ce sera leur jour noir,
de maudissement.
Tout à moi
Le calme est revenu, nous nous rendons. Dessus la voûte étoilée. Devant l’océan. Autour la brume. On ne m’échappe pas.
Tu es à moi.
Dans la brume, le silence — de l’arrêt. Et si, dis-je. Et si c’était ? Et si tu ? Et l’autre ?
Pente abrupte, oui, dévale, tout le courage des larmes et la résignation de l’arrêt.
Tu ne m’échappes pas mais
dans la brume,
dérapes…
Tu étais à moi.
Mais je ne m’échappe pas. Je t’affronte, ô fantôme, ensemble jusqu’à la mort.
Tu seras à moi, tout à moi.
Non refusé
C’était à la radio, ça passait.
Moi j’avais lâché la mer. J’avais tout lâché. Quelque parent lointain, j’allais trouver.
Une chambre, ils me laissèrent, sous les toits.
Là je pleurais pas mal.
Puis je conduisais, dans les montagnes. Noires.
La radio chuintait, la pluie tombait, quelque chose
dans le silence
grésillait.
Ce n’était pas la chaleur
du foyer ;
ce n’était pas le délai
de la réponse ;
ce n’était pas le battement
à la tempe,
du désir ou de la peur.
Et je filais, roulais dans les montagnes. Blanches.
Quelque chose,
dans la nuit,
hululait.
J’allais entreprendre de grandes choses.
Point mi-journée
C’est tout en haut d’une colline
rompue de part
et d’autre,
alors.
Pour accéder au nid d’aigle,
un chemin de ronde encastré dans la pierre taillée,
aux rambardes incertaines, perclus de meurtrières,
alors.
Alors, on voit toute la vallée, l’eau qui court, turquoise, sur la pierre,
et la ville.
On mesure, de là-haut, l’étendue
des désastres.
Ceux qui ont bâti ces murs, des édifices
glorieux,
avaient un idéal, ils croyaient à des choses.
Sinon pourquoi le souterrain, pourquoi le donjon ?
Pourquoi la prison, pourquoi les meurtrières ?
Aujourd’hui il n’y a plus de meurtrières,
et l’accès au site ne se fait plus par
griffes ou les crocs.
Il n’y a plus de meurtrière,
et l’ennemi est partout.
Il faut se rendre, comme la tour,
à l’éboulis.
Outre
Ce quelque chose, qui dans la chambre, dans la maison, dans l’habitacle et dans la salle humide du donjon, restait. Hululait ou grésillait ou chuintait, quelque chose résistait. Ou plutôt, ne résistait pas, mais s’offrait — au contraire — mais comme une bouche, un vertige.
Il y avait quelque chose en moi, j’en étais persuadée maintenant, quelque chose qui devait se faire entendre.
Quelque chose que seulement sous le masque de la fantaisie, une espèce de théâtre, une publication en somme, devait prendre place, avoir lieu, et tenir pièce.
Qu’est-ce que j’avais fait, pour mériter l’héritage du sable ? Tout ce sable que mes doigts ne peuvent retenir ? Pour mériter la dévolution, entêtée, de l’eau ? Mes mains barrage impuissant. Je ne peux pas tenir le jour plus que de raison.
Devais-je parler ? Devais-je avouer quelque chose ? Mais quoi ? Mais à qui ?
Possédée, je l’étais, ce n’était pas la faute des colons. Ce n’était pas la faute de l’aber non que de l’océan ? Était-ce la nuit, qui tremblait dans les lampadaires écorchés de la nuit, sur la jetée ? Étaient-ce les brumes qui venaient lécher les vitres graisseuses des tavernes bravaches ? Avais-je perdu un marin ?
Je ne savais pas de quel legs j’étais redevable.
Fredon1
Oui, feu-follet, je t’ai vu cette fois. Vert vertige. J’y suis.
Le temps n’a pas prise sur toi. Je n’ai pas de vue sur le temps. Viens.
Je t’attrape, fredon.
Je suis avec toi, de corps, d’esprit, spectre, je suis à toi, viens, j’arrive.
Ça grouille, ça bourdonne, fredon, je suis à toi.
Nous voilà
réunis.
Explique-moi, avec tes mots de doigts, tes idées de souffles chauds sur ma nuque, comment déprendre, comment me racheter ? Si je ne le fais pas, je ne saurais jamais.
Tirez le rideau, levez le voile.
Si tu ne viens pas jamais
je ne pourrai me rédimer.
Air de deuil
Le fond de la salle est plein de fumée. Dedans les rayons faibles dessinent des figures. Des nuages dedans. Des orages. La bière est également tachée de fumerolles.
Que voir, que voit-on dans le brouillard ?
On se complaît dans les visages, qui passent de l’autre côté, mais peut-on soulever des corps, perforer des yeux, comme je souffre en solitude et silence jusque ici ?
Tu ne me vois pas, dans le brouillard ?
Ne vois-tu pas ma main, mon souverain calme, l’honnêteté dont je fais preuve ? Que veux-tu de moi encore ?
Ne suis-je pas assez morte dans le brouillard ?
Est-ce que je ne te ressemble pas mieux ?
Sept mois
Reviennent les lumières, s’épanchent les eaux. Les marées plus nobles. Les feuilles captent une partie du chagrin.
C’est un grand besoin d’eau, qui relâche ainsi un peu de tension.
Le soleil, parfois, est un peu moins gris.
La lutte est infidèle mais elle est décente.
Le temps passe, et j’attends encore l’audience. Mais je ne suis pas résignée. Il y aura un moment où le chêne, sur la place, ou les fleurs, dans la prairie, porteront mille lances, contre le chagrin.
Je suis droite, dans mes bottes. Je t’ai avalé, le spectre. J’attends mon heure, mais la défense se prépare. Jamais les douves, jamais la tour n’eurent plus de sens.
Comme je roule, dans la montagne noire et blanche en quête de je ne sais quoi — mais fébrile — les écorces se rassurent, les épines se relâchent, les moignons s’adoucissent.
Les montagnes m’ont donné deux témoins. L’un de ma solitude. L’autre de ma folie. C’est-à-dire de mon amour, intact, intègre.
Même blessés, les oiseaux passent.
Toi seulement
Le printemps n’est pas, n’est pas souvent, n’est jamais une pièce unique. La maison au bout du village n’est pas un château, malgré ses airs de donjon éboulé. Toujours quelque chose menace, et tout recommence.
Les cauchemars, les fantômes, les lettres écrites de sang et de larmes. La chambre à l’écart, malgré le petit peu de vie motivée par la routine, comme un moteur aveugle, n’empêchait nullement le précipice. La nuit était particulièrement vorace.
Non les collectes des bonnes choses, dans les fermes ou les hameaux, non les poursuites, dans les boucles que la voiture ne finissait jamais de faire, fouir de la montagne noire à la montagne blanche ne parvenaient à distraire cette âme en peine.
C’était elle, la sorcière. La hantée.
Toutes les effluves et toutes les flaques et tous les éclats de lume hurlaient en chœur : « toi seulement ».
Bonheur
Pause. Je sais maintenant que ce n’est pas toi, seulement.
Pause. Quelques accords glissent, dans le fond, non pas un hommage, un écho de l’estime.
La sorcière le dit, qui nous a tous trahis, et maudits.
Personne, personne ne peut décider pour elle.
il n’y aura pas de procès je sais
pas de vengeance ou de dénonciation on le dit
Il n’y aura pas de ces gestes trop brusques déclassement
qui blessent sans le vouloir
ou perdent, en le voulant griserie
qui décide ici qui ?
Yeux d’ouest
Qui décide, ici ?
Les colons sont de loin.
De loin les griffes qui menacent le moins.
Mais revenus de nos territoires d’effroi et détresse, descendus des montagnes noires et blanches,
nous pouvons reprendre le combat.
La communauté se resserre autour du donjon écroulé. Les lumières dans les chaumières et tavernes sont buée
et éclats de rire et cordes grattées et livres lus en ferveur collective.
On jette une poignée d’herbes dans le bouillon,
une bûche dans l’âtre.
Viens mon colon. Viens te frotter
à l’âme suscitée.
- J’avais écrit un texte tel intitulé longtemps de ça. Il le soulignait déjà, il le soulignera encore. ↩