Un texte de Pistes et sillages, une série de textes poétiques nés de l’écoute des préférés de la discothèque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
Sommaire
Chasseur1
J’avais, à cette époque-là, la rigidité comme manœuvre.
J’étais borné. Je croyais encore au corps.
Je ne croyais pas à quelque chose qui me domine, ou me mate.
Mais je venais de traverser une saison plutôt froide et sèche, j’étais parti en ville, pour des boulots mal payés, et plutôt désagréables à la main comme au ventre. Les soirées étaient longues, dans ces nuits éternelles, et le mors de la houle isolait souvent le port où je marnais.
J’avais une piaule minable sous la rue, comme ça se fait dans ces bleds, comme si on n’avait pas assez de l’excès de ciels pour manquer respirer. Je mettais un point d’honneur à ranger mes maigres affaires et à tenir propre l’unique pièce, de manière à ce que si par extraordinaire quelqu’un passait à l’improviste, je ne passe pas pour un clodo.
Je le faisais surtout pour me rappeler chaque jour, après chaque repas, après chaque nuit, que je n’étais pas encore un clochard.
D’ailleurs personne ne passait à l’improviste.
Je crânais à l’époque, de n’avoir que le minimum vital. Je me saoulais de cette indigence, j’y trouvais mon compte, j’y trouvais une espèce de rédemption, destinée à racheter une faute que je n’avais d’ailleurs pas commise (mais je ne le savais pas).
L’automne était passé dans ces conditions, l’hiver s’annonçait rugueux, et bientôt mon contrat toucha à sa fin. Le moment n’était pas propice pour rentrer, l’air était pesant, et je revins aux fondamentaux. Avec Marti, un collègue, le seul avec qui j’ai échangé autre chose qu’un tchin à la taverne, on avait décidé de partir encore plus au nord, histoire de se dégourdir les idées, une fameuse idée.
Mais quelque chose clocha, d’entrée de jeu, dans le regard de Marti. Il s’arrêta bientôt, lesté par le regard d’avalanche qu’une foutue serveuse lui avait fait dans une de ces villes où tu n’es rien sans chemise à carreau.
Moi j’ai continué, poussé par la faim sans but, et par la conviction que se perdre était le meilleur moyen de me retrouver. J’avançais.
On m’avait trahi, on m’avait oublié, et on m’avait lâché, c’était suffisant pour moi : la faim, l’art de la faim, la virtuosité du manque.
L’amie2
Je m’arrêtai longtemps dans une ville qui était un port la moitié de l’année. L’autre moitié (celle où j’atterris), c’était plutôt les pelletées de neige.
Je passe sur les détails, mais je restai bloqué assez longtemps pour échanger avec les habitants, puis les connaître et sympathiser, et je sortis même avec une fille avec des yeux en biseau. Elle était douce comme une pelote de laine, et sans aucune espèce de ce qui jusqu’ici avait fait tout le sang des relations que j’entretenais avec mes pairs : la duplicité. Elle n’avait aucune arrière-pensée.
Dans l’intimité, toutefois, elle était chaude comme un volcan, elle était extrêmement aimante et désirante, et elle donnait beaucoup.
Ce qui était nouveau pour moi c’était les fourrures et les plumes, tout cet arsenal de cocon dans la maison, et la facilité et mélanger la simplicité de la routine avec l’âpreté du sexe, aussi cru et violent qu’elle était douce et timide. Mais c’était comme une espèce de réceptacle, peut-être de la confusion des paysages, en tout cas celle qui m’entourait (les avais-je portés moi-même en cet endroit, les avais-je élevés à cet état ?), et qui mariait la pierre de lune rugueuse à la douceur neigeuse.
Qu’est-ce qu’on apporte dans son voyage ?
Je demeurais comme cela, inquiet dans cette magnifique volupté, aux aguets dans la torpeur, à l’affût dans l’opulence.
Je ne la remercierai jamais assez.
Démêler3
Je restais comme ça comme éméché, comme happé, ou saisi, interdit, par une petite phrase de violoncelle, ou quelques notes d’orgue, au détour d’une rue, jailli du cul d’une usine, ou sorti d’une loggia dans le quartier résidentiel.
Chaque fois que je m’éloignais, je voulais revenir.
Et chaque fois que je rentrais, je voulais faire l’amour, comme la première fois.
Célibataire
Ça coulait douce et filait doux.
Nous n’étions que cette vague, perdue dans la marée.
Montant, descendant.
Une à une.
Main à main.
Rien de nous échappait.
Libres comme pas des orques.
Fontaines sang.
(Marti disparut.)
Lume toute néon
Je commençais à me défaire, relâcher les filins qui tiraillaient le corps et surtout l’esprit.
Je découvrais le monde une nouvelle fois. Elle se répandait sur moi, dame lune, comme si d’un chevalier hérissé la courtoise araignée faisait un nourrisson fragile.
Je prenais toute cette lumière en moi, c’était une énergie.
Elle admonestait la colère. Et, électrique, la débranchait.
(Entre-temps l’ouïe engrangeait un ensablement ; c’était nouveau grain, rythme refoulé à présent reçu, comme les mailles naissaient de l’entrelacement.)
5 années
Chaque jour je m’étonnais à nouveau. Dame lune poursuivait son égrenage.
Tout était nouveau chaque jour et je parvenais à peine à réaliser combien j’avais laissé de moi tant de jachères, de mon carquois tant de flèches. Mes oreilles n’en croyaient pas leurs yeux. J’étais devenu anguille, paume écrite, fil conducteur, de tous côtés.
Elle admonestait, chapitrait à l’aube, comme au nimbe. Je n’osais bouger, cinq années durant, elle menaçait de bienveillance, inquiète, râpeuse, triste et belle à pleurer, une élégance rare. La ville et son territoire autour, qui embrassait les voies, mais les arbres, mais les collines arasées, mais la lande, mais les ondes de l’océan, seuls, seuls, était repue de ce silence acquiesçant.
Immature
C’était une épreuve, que je vivais. Je croyais avoir rejoint la forêt matricielle, j’errais dans la lande désolée entre les myrtilles et les airelles, les cassiopes et les saules nains. Les seules dryades que je voyais étaient des saules nains.
J’avais cru voir des arbres, mais depuis quand n’avais-je pas vu d’arbre ?
Comment ai-je pu me laisser berner à ce point ? Le temps ici était à la modestie, et à la jeunesse. Puisqu’il était de volcan.
Sonnette d’alarme
Je n’eus plus peur.
Je voulus gravir, plonger, tracer ! Je n’avais plus peur.
Quelque chose s’est renversé, cela m’a alerté.
Je n’avais plus peur : je côtoyai les gens, les peuples, je peux dire que je les aime.
Quelque chose s’est éclairé, cela m’a alerté.
« Le convoi te réchauffe, le convoi te transporte, le convoi te nourrit. »
Elle m’avait lavé des noirceurs, des gribouillages et des nausées. J’avais deux jambes, deux bras, le ventre, le cœur et un organe phonatoire.
Je voulais libérer le monde.
Et plus tu m’enfermes dans la pièce, plus je dégueule dans l’univers.
Pluton
Un volcan, tel Pluton, soudain jaillit et elle s’affaissa, tel un volcan.
Elle explosa, elle explose.
J’étais en elle, maintenant, planète devenue noire, jaillissante.
Elle explosa. Naquit, neuve à nouveau.
Tout est plein d’amour
Alignement des contacts, grâce à l’auxiliaire, soudain (et cela prit ce temps, encapsulé dans une petite forme argentée), j’entrai dans le siècle.
Je descendis les latitudes comme des gradins. J’atterris moi-même, lavé, et pouvais à nouveau.
Renouvelé de l’intérieur.
- Notes préparatoires :
Une phrase dans la claire
le reste dans un rythme
effréné
une pulsation avec une accolade
ensemble
identiques.
↩ - Notes préparatoires :
Imagine les montagnes du haut-arrière-pays,
loin de la mer pourtant là
loin de l’histoire pourtant là
loin des choses simples
de la vie simple
comme l’huile, l’eau, le feuCailloux moussus, lichens, longues cornes abattues à terre
muscles raidis, sangs,
châteaux en partie effondrés
recalés dans un coin
par un foyer une étable
un semblant de portailJe vois le jeune en monture
après la séparation brisé, exténué,
impréparé à se désamourer
à se désaimanter
et ce sont des cors, des cordes grèges, des cris d’orfraie
des tempêtes qui approchent
des paysans qui puent.Il traverse les montagnes
sans grâce sans apprêt
sans souffle
sans envie
tout est noir et schiste et granit
mais où va-t-ilet je le vois.
↩ - Notes préparatoires :
Ces mêmes terres sont celles
de la pelouse, arrosés des embruns
des fleurs qui fleurissent sur
les pierres de murs abattus
des bruyères et des ajoncsDes cœurs trempés
d’acier se fendent à l’écume
devant le carroi de la mer
savoir partir
savoir rentrer
ne pas savoirne pas savoir
ne pas savoir
ne pas savoir…
↩