Un texte de Pistes et sillages, une série de textes poétiques nés de l’écoute des préférés de la discothèque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
{à partir de Tragic epilogue, Antipop Consortium, 2000}
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Blanchisserie
Peut être
ça peut être
ça peut être une rue dans la ville, un transport en commun, ou un appartement d’individus, non pas un appartement, pas des individus, une ville.
Si le soleil ne tape fort, il y a quelque chose qui agit comme lui, en essence. Comme le sang dans la tempe, le sang dans la tempe, le sang dans la tempe.
Une nuée de gamins passe.
Quelque chose du piston, aussi, ou du muscle. Comme le coup dans le cœur, le coup dans le cœur, le coup dans le cœur, le coup dans le cœur.
Heu.
Le type en bas, il vend de la bouffe, on adore lui en prendre, il sert ça, on sait pas c’est quoi, dans des papiers qui sont tout de suite gras, et les doigts brûlent, et c’est bon.
S’il n’y a pas de soleil, on fera un grand parc, et on fera comme c’est-à-dire qu’on fera sans.
Sans. Sans. Sans.
Sans.
(…)
On fera sans, on s’allongera et on regardera battre la lune, comme au ferronnier, pour faire de grands disques jaunes, qui ne s’oublient pas, putain, des galettes, des cymbales, des joailleries de rythme et d’or.
Papier nu
Quelque chose, du carton, déclame, ne cesse de déclamer. Le carton, le carton normal, le marron, celui qui est fait de tubes, de cellules, d’un indicible réseau de ligne à la Romita Jr, le carton parle, ne cesse de parler.
Le carton, le carton, le carton, le carton.
Il ne cesse de parler, il t’embrouille, te perd, tu es toujours un peu en deçà de lui, tu ne parviens pas à répondre, tu as déjà du mal à comprendre. Tu ne peux que retenir le souffle, et quand il y a une ouverture, tu n’as pas le temps de sortir, ça repart déjà.
Le carton est affable, mais il a aussi de ces grands gestes d’une dimension, qui le rendent en quelque sorte aussi friable que maladroit, en vérité il ne supporte guère l’équilibre, il fascine surtout la gravité.
Il ne cesse de parler, cela devient ton ami, parce qu’un ami c’est cela qui te parle et quand il te parle il te parle en ami et c’est ton ami qui te parle.
Le carton, le carton, le carton, le carton, le carton.
Le carton.
Une espèce de bourdon passe qui rompt un peu la monotonie de ce fleuve adoré.
On se tait, et dans l’écoute et dans non.
Votre monde est plat
Souffle à peine, tuyaux, compresseurs, pompes, le flux reprend déjà, le bourdon n’a pas eu le temps d’agir.
Ce n’est plus le carton.
C’est quelque chose qui ressortit plutôt de l’aluminium.
Ou du verre, comme le chant d’ampoules colorées. C’est le chant d’ampoules colorées, qui gravitent autour de toi, dénonçant ton passif, et déliant le silence, en accrocs, en marches d’escalier, en gravillons éparpillés pour faire semblant de surface.
Soleil trou noir, aspiré tout à coup.
Psa 2
Pause dedans.
Ça respire, ça frétille, la petite flèche engendre.
Debout pause.
Ça s’étire, ça se lève, le petit triangle gigote.
9.99
Et repart.
Le carton, avec l’ampoule, ça fait une espèce de pièce derechef, une pièce qui se répète, pas une pièce comme la pièce de monnaie, la pièce de moteur ou la pièce de maison, mais
han
une pièce comme une scène projetée peut-être oui (han) sur des surfaces (et tant pis si ces surfaces ont des fonds), une scène tournée en 8mm, tu sais (han), floue et jaunie, et tremblante, ça projette et tourne en boucle
C’est le prix de cette petite vidéocaméra, une broutille, mais qui dérape, et c’est beau. Han. Comme une rayure sur le disque.
Eau de vaisselle
Tout à coup on se pose ou presque.
On a jusqu’ici dévalé le son comme depuis les cabrioles et les rondes.
Ronde… on se retourne sur elle, depuis le canapé quelque chose encore une fois rien d’humain développe, une fumée, une gaze, noire, et dense, et mouvante, évoluant sans se mouvoir, s’effondrant sur elle et reprenant forme, forme informe sur le canapé.
Les voilà !
Premier silence.
Des rires, des borborygmes.
Des lycanthropes, des fantômes, des frankesteins domestiques, pixelisés.
C’est un mauvais rêve qui s’arrête, à moins que ce ne soit le contraire.
Lune zéro XM
Lune zéro supermoyen, ad lib.
Lune
zéro
supermoyen
Lune zéro supermoyen.
Lune zéro supermoyen lune zéro supermoyen lune zéro supermoyen lune zéro supermoyen lune zéro supermoyen lune zéro supermoyen lune zéro supermoyen lune zéro supermoyen
Lune
zéro
super
moyen
Calculs informatiques. Et/ou
Pleine
lune
supermutants
Pleine
lune
supermutants
Pleine
lune
supermutants
Pleine
lune
supermutants
Pleine
lune
supermutants
Pleine
lune
supermutants
Pleine lune super mutants pleine lune super mutants pleine lune super mutants pleine lune super mutants pleine lune super mutants pleine lune super mutants pleine lune super mutants
Pleine
lune
supermutants
Puis une feuille se brise parce qu’elle s’écrase parce qu’elle se déchire parce qu’elle se froisse.
Ascenseur
Sortie, à peu près.
Il y a ce moteur qui poursuit obstinément sa route, toute sortie est compromise, et pour lui de même.
Il faudrait écrire des colonnes, ou mieux des lignes sur des lignes sur des lignes, surimprimer les écritures pour que ça ait quelque sens.
Le moteur avance et poursuit, il monte ou descend, c’est selon, c’est comme un petit landau, comme un perpétuel va-et-vient.
C’est donc autour de lui, comme une colonne disais-je, comme une ligne, comme des câbles qui perpétuent le cycle, ou en tout cas le mouvement (il ne semble pas qu’il y ait du retour, ou que le retour soit prévu)
Mur d’yeux
Des cornes, elles poussent, colorées, bigarrées, sur des paysages bouclés, des fourrures, des
Tu sais quand le formulaire cherche de toi des informations que :
• soit tu ne veux pas donner
• soit tu tu ne sais même pas très bien quelles elles sont
Tu as fait la queue pour le retirer au guichet où tu n’as vu aucun regard, mais une main du bout d’elle te l’a tendu, tu t’es dirigée vers une espèce de lutrin, il y a là un stylo bleu, qui marche malle, sa bille déraille, attaché à une chaînette ; quelqu’un a écrit grosse pute sur le lutrin.
Tu répètes
GROSSE PUTE SUR LE LUTRIN |
Dehors il se met à pleuvoir une pluie froide et coupante.
Les gens semblent sortis d’une cage d’escalier soviétique.
L’ascenseur est en panne.
Un jour à Brooklin, comme ça, tu es allé chercher des timbres, pour envoyer une lettre dans ton pays. Il faisait très beau mais très froid. Des glaciers passaient dans la rivière.
Pourquoi Brooklin, je ne sais plus.
Le guichet était de bakélite, le bureau minuscule, il n’y avait rien de très glorieux dans la scène. Une vieille folle, habillée comme un rôti, gueulait dans l’hygiaphone. Derrière une vitre cradingue et rayée de plexiglas, de l’autre côté, une grosse femme noire n’écoutait même pas et distribuait à tour de bras des vignettes officielles sans qu’on sache, personne ici, de quoi il s’agissait, et elle tamponnait, tamponnait, tamponnait.
C’était pas mieux qu’à Sofia, quand on avait cherché à connaître les horaires pour un train qui n’est jamais venu, brisé en deux par la glace, lui aussi.
Le formulaire ne répond rien de juste. Tu changes de lutrin. Tu poses le formulaire sur une bite hachurée. Dieu on n’a jamais vu de bouche si mal exécutée. Tu dois barrer une indication, mais la bite en dessous, par ses rainures, te fait faire un trou.
Toute dégradation, tache, marque inappropriée, rayure, faute d’orthographe ou information inexacte conduira inexorablement le formulaire vers la déchiqueteuse et votre demande aux oubliettes de la servitude. Soyez-en assurée. L’État vous remercie.
Passez une bonne journée.
N’oubliez pas de vous laver les mains après chaque contact avec quoi que ce soit, en chaque instant, partout, à jamais.
L’ascenseur est en panne.
Dddalle
Nous reprenons le cours de nos émissions.
Le maître de cérémonie est habillé d’un haut de forme avec une spirale, vous savez. C’est le cirque. Il nous parle de super-héros ou d’autre êtres travestis de mythologie, ou être mythiques travestis en carnaval de quartier.
La pièce débute ; un ballet rapide, vif, se transforme peu à peu en une pyramide assez inconcevable de corps, déposés après quelques pas de chat et glissades et sauts les uns sur les autres, de plus en plus, de plus en plus, jusqu’
NO
Gravir, c’est le refrain. Repos.
Solo, un autre assemblage de pas de deux et boucles et rondes et ganses fait de bras de jambes, les cous, les hanches, les omoplates jouent leur rôle à la perfection, jusqu’à la calotte, au sternum, aux ménisques, tout le corps est en représentation dans son solo fait de mille parts.
Gravir, c’est le refrain : repos.
Le troisième acte est celui du saccadé ; un saccadé cool, détaché de sa saccade, un peu comme le cavalier sur son cheval, ou quelque machinerie un peu bringuebalante, et après une élégante révérence (geste de l’avant-bras jusqu’au coude, d’accueil et présentation)
s’évanouit.
Sexe monstre
Six secondes de sperme.
Cerise
Ça repart.
Qu’est-ce que tu n’as pas fait.
Le professeur revient, rebat les cartes.
Il y a quelque chose, dans le monde, disons le disque, qui échappe aux senseurs et qui pourtant laisse une trace visible après coup.
Des petites éclaboussures de signal, des petits cris étouffés, des craquements, des crissements, des rissolements, des frisottements.
C’est une sous-couche, une sous-plage, une dimension réticulée, fine, infrastitielle dont tu ne nous avais pas parlée avant ton enrôlement.
Peut-être d’ailleurs n’en avais-tu pas conscience toi-même, que tu transportais avec toi cette besace de secrets, de remugles, d’effluves, de nids grouillants de choses sournoises et furtives mais tenaces et féroces, le tout empaqueté dans la ouate, le déni, l’insu, l’oubli.
Un inventaire et une cartographie sont en cours, mais bien des dimensions échappent à la réalité, puisqu’il est question aussi de mal, d’enfer, de famille ou de maladie : elles échappent au strict champ d’interférence qui est notre spécialité, elles affleurent au paranormal.
Qu’est-ce que t’as pas fait.
On doit tout reprendre à zéro, pas seulement faire tabula rasa, puisqu’on est ici en deçà de la surface, mais procéder à des espèces de carottages psychiques, qui viennent perturber l’entrelacs de tous tes tissus. Ça va être un beau bordel. Une boucherie. Notre histologue est sur les dents. Nos historiographes doivent suivre des formations accélérées, et à distance encore : il y a quelque chose en toi d’extérieur à toi-même, et ce n’est pas tenable. Pour nous bien sûr, mais pour toi.
L’œil quantique te scrute. Le résultat n’est pas beau à voir. Pas de quoi être fier. Tu es polyphone. Un monstre. Polymane. Une boucherie. Polyèce. Un chaos.
Un chaos domestique.
Nous songeons à envoyer les chats de la nuit.
Conduire en rond
Monte dans la voiture, je t’emmène. Ce n’est pas une balade, ce n’est pas un voyage.
C’est juste monter dans la voiture et t’emmener. Alors viens. Je t’emmène, monte.
Ce n’est pas un voyage, pas un trajet, pas une errance, pas une balade.
C’est juste la bagnole : tu montes ; je t’emmène ; viens.
Allez. Monte dans la voiture, je t’emmène viens.
On s’est trompé. On s’en fout. On repart.
Dehors c’est dedans. La route c’est le parking. Le paysage c’est le ciment et le béton. Et l’horizon c’est le néon.
Monte, allez, monte.
Je t’emmène.
Qu’est-ce qu’on s’en fout.
La poussière et les bêtes de la route s’écartent en crissant, pareil.
Génie 3 doigts
Tu peux pas gagner tu peux tu peux pas
Tu peux pas gagner tu peux pas
Tu peux
Tu peux pas gagner
Il est bien utile de tirer des comètes. De torréfier des châteaux. Nous sommes réalistes, nous.
Connectés par des électrodes à ton passé, à ton imaginaire, nous voyons tous ce que tu cherches dans l’outback. On t’a parlé de ce type qui, sur la B, derrière une vitrine de service informatique, procurait toutes sortes de services et de cures « spéciaux ». Toi qui avais été là une fois, c’est là que ça a dû déconner.
Tu as mis un pied dedans ; tu as longé la pliure de la feuille, puis tu as érigé son bord, dans l’épaisseur ; appris l’art du décloisonnement ; séparé le signifié du signifiant.
Ce fut une trouvaille, mais un vertige, aussi. Tu as senti le pouls des étoiles, comme le tourbillon des électrons sur la courbe.
Le type avait un accent, on aurait dit européen, bien qu’il arbore fièrement ses dreads ramassées sous un bonnet tricolore. Il fumait en continuité. Plus tu passais du temps chez lui et mieux le connaissais, tu ne lui voyais jamais lâcher son mégot (et jamais ne le voyais rouler, du reste). Il lisait aussi, beaucoup : Nietzsche.
Chaque jour il brûlait dans un cendrier d’inox et d’ivoire une page de Spencer1 qu’il déchirait avec art, précaution et passion.
Il disait qu’on devrait trouver le moyen d’avaler les mots.
Qu’ils retournent à la centrifugeuse et que les phrases erronées n’aient plus la possibilité de s’afficher.
Il avait ouvert un fichier de tableau et commencé à lister tous les assemblages de mots qui lui semblaient nocifs à l’épanouissement (de l’esprit, des pétunias ou de l’espèce humaine, on ne savait pas, on ne pouvait dire).
Puis il applaudit des modèles statistiques, réalisait des analyses multifactorielles, extrayaient des composantes principales, élaborant des dendrogrammes excluant ces associations de mots, bannies des phrases.
Son territoire, substantiellement, c’était la phrase. Il y résidait un temps non négligeable, entre un mégot et un client.
Il t’a beaucoup appris.
Antontonmesure Ne-0
Si tu ne veux pas coopérer, tu souffriras. Si tu coopères, tu souffriras. Pourquoi ne veux-tu pas souffrir ? Il n’y a pas d’issue.
Les étoiles ? Tu es d’ici, tu dis. Polyèce.
Je cite :
Cimole ouEclii-
nus.Melos on Bybliï’,
Zcphyrie, Mi-
]iiallide,Siph
nos, Acyton.IVIachie.
Hypère ou Pa-
t«ge,PUtage,
Amorgos.Polyèce.
Pbyle?
Théra ou Cal
liste.
Thérasie.Aulomate on
Hiera.
Thia.
liée. . < Ascaoie Anapbe. Hippnris. Gyarus (G-yaras , Juten. $ Tùap^ç. SxRAB. , liv. X ; Tufltpet , fautivem. pour Tôttaot. , Philostr» , p'ie $yrQus ( ïupyoc ? ). Çyocethus ( Kwvoi3-off ? ) ,
Radiographie
C’est le moment glorieux de toi. Tu t’extirpes de bandages, des ouates et des fils, tu dois t’ériger, te mettre debout et faire front.
C’est une poésie ésotérique qui déboule dans leurs algorithmes comme des quilles et… la frappe !
Résister est inutile.
C’est dit, le mot se répand comme un tatouage ou une décalcomanie. Pas de syndrome contagieux émotionnel ici, on est plutôt simplement sur un genre de kabbale infinie, tu avais trop de voix, elles ont choisi la lumière. Elles parlent elles parlent et parlent.
Les cours d’informatique sur la B ont porté leurs fruits. Résister est inutile, par cette capacité à l’invagination, tu as réussi à retourner l’engrenage des nappes en entier.
Il est maintenant ouvert, sur le côté, haletant, misérable.
Les bêtes et les poussières s’échappent en petites nuées cotonneuses.
Désorientation
Bien entendu abolir la rose des vents rend inconfortable.
Mais le chemin est à présent en toi.
Que suis-je ?
« Motif, exorciste, exercice
Aucune discrétion alors qu’on fait pression sur les frontières »
- Certains affirmaient Spicer. ↩