Ce texte devrait me permettre de synthétiser la réflexion sur le lir&crire dans son rapport à l’internet. Il est redevable à la petite communauté des “blogueurs” (mot que je n’apprécie pas vraiment) qui est très vive, fidèle, ouverte et respectueuse. Je remercie ceux-là et d’autres, qui œuvrent, font œuvrent de tout bois : ce feu là c’est celui de la bibliothèque. On en redemande. NB Le texte est en cours d’écriture, éventuellement rafraîchir
Situations liminaires
Situation 1 : jamais on n’a autant écrit • 1.1 du texte sur le net • 1.2 du livre vers le pilon.
Situation 2 : une rupture historique entre ceux qui portent le droit d’auteur en mâchant des auteurs et ceux qui s’autorisent simplement d’écrire sans intermédiaire.
Situation 3 : une rupture épistémologique entre les mêmes.
Evénement
Lorsque le livre se décolle du texte, lorsque symbole et signe ne s’entendent plus, c’est vers un versant nouveau de la linguistique, de la communication, de la cybernétique qu’il s’agit de se tourner. Ce n’est plus simplement la description linéaire des éléments qui est en jeu, mais la compréhension (et tous les mots comptent) de leur organisation, des relations qu’ils entretiennent. Les trois entités fondamentales ne sont plus seulement ordonnées, ni même discrètes : scripteur1 – texte – lecteur ; les instances sont mêlées et interagissent. Il s’agit donc d’une approche écologique considérant les relations fonctionnelles des différentes instances. Ecrire devient un évènement c’est-à-dire un élément organique qui a lieu (qui survient, qui vient) au sein d’un milieu : un espace, une topologique.
Quelques incises
Ecrire in medias res
1. Le flux est permanent, il coule comme une rivière. Il a ses périodes d’assecs et d’étiage et ses crises et ses crues. Il croise plusieurs milieux, il croise plusieurs instances, il croise, il croise et à ce croisement on associe plusieurs textes : le flux est l’intertexte.
2. Comme flux permanent, il s’abstrait d’un commencement et d’une fin, il s’abstrait donc de l’histoire. L’évènement en cours n’est pas un temps, tout au plus est-il une succession d’instants (des instances), il est spatial. Chacun connaît son insertion dans le flux de Twitter : rares ceux qui s’obligent à des formules d’accueil, de politesse ou de salut, comme font les voitures issues de la bretelle pour s’insérer dans le flux de l’autoroute.
Ecrire d’écrevisse
La marche de l’écrevisse est une image déjà utilisée par Blanchot lorsqu’il évoque la forme de l’entretien infini 2. Il y a un va-et-vient permanent, soit entre deux instances (deux ensembles scripteur-texte-lecteur, le trinôme STL), soit entre deux composantes de cet ensemble. Un lien ne peut mener à deux destinations à la fois, le va-et-vient est nécessaire et définit un espace comme un fuseau, de l’un à l’autre — le texte se tissant. Lorsque nous écrivons sur internet, nous renvoyons à un autre texte — un autre du texte — ou bien nous appelons un texte en le nôtre. Notre texte est ainsi tout à la fois une écriture et une lecture (le lir&crire) et cette donnée fondamentale, qui présidait déjà à nombre d’œuvres du passé, même sous la forme du codex, est aujourd’hui matériellement possible. Cette marche de travers, cette traverse, cette traversée du texte (intertexte) désigne immanquablement des feedbacks forts pour l’acte même de littérature : l’hypertexte, je cite Olivier Ertzscheid : « • L’activité centrale de cette primo-écriture est le lien. • Sa dynamique est avant tout topologique. • Son régime est celui de l’autorité, c’est à dire que nous en sommes, collectivement les auteurs. » Je ne ferai qu’une remarque sur l’autorité comme décrite dans la note 1 de ce texte : les termes d’auteur et d’œuvre chez Ertzscheid ne peuvent exactement désigner les mêmes instances que la tradition philologique, mais ne sont pas non plus exactement ce que nous désignons nous, après Blanchot, du lieu de production (auteur) du texte (œuvre). Et à ce titre, ces notions sont renversées, car considérées sinon néfastes, du moins par trop contraignantes ou, plus justement contre-productives.
Ecrire polydactyle
On n’écrit plus des livres : on écrit partout, à plusieurs, sur plusieurs supports, et on s’inscrit dans plusieurs flux. Il y a l’écriture manuelle, et l’écriture clavier ; il y a l’écriture des livres, et celle des blogues ; il y a l’écriture des réseaux sociaux, et aussi l’écriture industrielle (agrégateurs, moteurs de recherche). Cette multiplications des mains mais, partant, des voix, loin de consolider l’unité d’un texte, multiplie, diffracte, dissémine les timbres, les postures, et gomme ou déplace la frontière entre l’intime et l’extime, le moi-je et le personnage social auteur et/ou écrivain. Ces questions sont encore trop fraîches pour être sereinement affichées ou étendues au fil de la critique. Encore faut-il les tenir en considération.
- Je tiens à bien souligner, comme expliqué par ailleurs, la différence entre auteur ou écrivain et scripteur : nous nous dégageons ici de l’autorité de l’auteur et nous rapprochons directement de l’acte même d’écriture — écriture sans autorité — propre au lir&crire ; nous nous dégageons aussi de la figure socioéconomique de l’écrivain qui n’a que peu à voir avec le phénomène du lir&crire ↩
- “Qui veut avancer, doit se détourner”, L’entretien infini ↩