Un texte de Pistes et sillages, une sĂ©rie de textes poĂ©tiques nĂ©s de l’Ă©coute des prĂ©fĂ©rĂ©s de la discothĂšque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
{Ă partir de Dub housing, Pere Ubu, 1978}
Sommaire
Manard
Urgence est le mot que je voudrais ici cerner dans son Ćil.
Parce quâaprĂšs tout, une fois quâon sâest dĂ©barrassĂ© de lâinconvĂ©nient de la mort (câest-Ă -dire quâon lâa embrassĂ©e sur la bouche â embarrassĂ©e sur la bouche), il convient de sâexposer Ă la lumiĂšre de la vitesse.
Alors parfois on tombe de haut.
Parce que ce quâon prenait pour la folie Ă©tait juste une intensitĂ©, un Ă©clairage.
Ce quâon prenait pour lâurgence, une envie.
Ce quâon prenait pour la vitesse mĂȘme, rien que de la gravitĂ©, de la densitĂ©, du destin.
(Voyez comme on permute les mots les lettres les essences.)
(Comment ça sonne.)
Sur la surface
La-la. La-la.
Pays surfacique, ça devrait glisser.
Pourtant rien nâest simple, jamais.
Prenez une tĂŽle, une tĂŽle qui prend bien la lumiĂšre comme le vent ; quand mĂȘme elle est souple et peut gondoler, elle demeure entiĂšre ; choquez la tĂŽle.
Choquez la tĂŽle.
Elle porte un coup. Une fois mĂȘme, elle pourrait se forer. Portez un choc aigu, comme un pic ou une lame, ou le plat du tournevis.
(En passant, le plat contre le plat, mais avec une fonction ((en passant, une fonction nâest jamais quâune factorisation, ou bien ?)), bim, le choc.)
Un accroc dans la tÎle. Il sera à jamais là . La tÎle est accrochée.
Alors il y a ce copeau, absurde sur le lisse du plat de la surface de la tĂŽle, comme une languette ou une lamelle, ou une dent ; alors plus de clinche, de frette, dâenture possible. Il y a dĂ©chirure, et alors tout usage deviendra pĂ©rilleux, sinon mortel.
Cela nâempĂȘche pas la fĂȘte, la-la, la-la, et les ballons et les fanions et les lampions. Les vacances, la mer, la plage. Le ballon est crevĂ©, mais ; le sable est coupant, mais ; il pleut, mais.
Une Ă©charde dans le pied.
Et le sirop,
dâun goĂ»t Ă©trange.
Ăchos maisons
Il faudrait trouver des passerelles ou des tunnels, des coĂŻncidences et des symptĂŽmes, de maniĂšre Ă crĂ©er un grand livre, plein de rĂ©Ă©criture et relectures, et câest pourquoi la musique est sur des disques.
On est arrivĂ© au gros morceau, si câest un traitĂ© de lâinquiĂ©tude, on est ici dans lâune de ses formes favorites et, de surcroĂźt, lâun de ses loci typici.
On prendrait un plan, un motif, une séquence et une boucle, on mixerait tout cela et on aboutirait à un disque.
Lâespace lui, nâest pas friand de courbes, il prĂ©fĂšre les angles. Si la courbe existe (les galets, les vagues, les atomes, les planĂštes, le vent, les fonctions mathĂ©matiques) ce nâest que parce quâil existe le mouvement. Sans mouvement pas de courbe.
Il nous faut donc examiner le disque du point de vue cinĂ©tique : la musique est une espĂšce dâincarnation symbolique de la courbure. Et câest tout. Les ondes. Lâondulation.
La musique est un concentré de la mer, du flux et du reflux, du sac et du ressac. La musique est une forme augmentée du mouvement.
La musique dans les oreilles (qui sont un complexe balancier et forge de minuscules glissements et heurts et par conséquent sont une structure accomplie et complexe de la courbe érigée en spirale, tortillon, passementeries), la musique dans une piÚce, la musique dans un bùtiment.
Câest le point.
Parce que par le volume engrangĂ© par les murs, les sols et les plafonds, la musique rĂ©sonne. Et, rĂ©sonnant, elle donne lâĂ©cho.
Et, donnant lâĂ©cho, elle entame une sĂ©rie et une sĂ©rie est un mouvement.
Mais les Ă©chos sâemmĂȘlent, et se babĂšlent Ă nouveau. La maison nuit Ă la musique, dĂšs quâon Ă©rige monuments, arches et salons dâapparat et jeux de lumiĂšre.
Alors quâon devrait jouer et Ă©couter jouer, tu parles !
On te somme de parler.
On rĂ©fute le silence. On le rĂ©duit en mille petits bouts dâinsectes.
On ne se doute pas que la multitude ainsi crĂ©Ă©e peut devenir un monstre de silence. Un cliquetis indicible, le mouvement dâune patte de grillon ne fait aucun bruit Ă notre oreille. En revanche milliards de millions de mouvements de millions de milliards de pattes, câest une autre cacophonie.
Parle !
Tu parles !
Tu parles !
Le miroir de Caligari
Le rasoir dâOckham ne suffisait pas Ă lâattirail de lâinquiĂ©tude, voici maintenant le miroir de Caligari. Ăvidemment, pour nous qui sommes de la partie, nous comprenons de suite lâallusion.
Le rasoir est inutile sans le miroir, en somme, ou quasi.
Le gĂ©nie (ou lâastuce, ou lâintĂ©rĂȘt) du miroir est au contraire du rasoir de dĂ©multiplier les rĂ©alitĂ©s comme on le vient de le voir dâailleurs dans lâarchitecture cimentĂ©e.
Donc le rasoir se rĂ©verbĂšre Ă lâinfini, et raser est impossible.
Câest une trouvaille, comme la drogue ou la gnĂŽle, ça rend dingue.
Le marin a raté son bateau, pété.
Le marin a raté son bateau, erre dans les ruelles, trouve une fille et un hÎtel, se regarde dans la glace, le rasoir dans la main.
Maintenant tu dois marcher, trouver un bus, prendre un busâŠ
Quâest-ce que tu fous avec ce marin ?
Qu’est-ce que tu fous avec ce trottoir ?
Quâest-ce que tu vois dans le miroir ?
Sérieux ?
Frissonneur !
Marcher dans les ruelles, retrouver une maison, un lieu protégé, mais il y a ces voix, ces regards, il y a ces gens bizarres, et il y a les insectes, les rats, les gabians.
Ăa crisse encore, ça grince toujours, ça ne cesse pas de grimacer.
Et geindre et gémir.
Et gésir.
Jâattendrai
Parce quâil nây a pas de raison, comme tu dis, et que les aspects pratiques forment des mondes possibles, jâattendrai.
Jâattendrai que la ville se fissure.
Jâattendrai que le monde se dĂ©couse.
Blang !
Jâattendrai. Blang ! blang !
Vider les fonds de bouteilles
Encore une notice dâĂ©piphanie, une pastille de divulgation.
Parce que heu heu heu heu heu quelque chose comme Elle arrive
arrive
Heu heu… ha ! ha !
Elle arrive et les nuages (un, quatre, neuf) seront bien gardés.
FĂȘte dansĂ©e chez Ubu
Le chemin des primevĂšres porte
vers une sereine méditation
une saine
La-la-laaa
Les Ă©pines comme les insectes
mettent en Ă©veil les sens
et justement nou
Grr, grr grlaaa
Tout ce que jâai bĂąti
en semoule et parlote
avec raison sera bal
Kkk, kkh, kkh ! La LA LA
LRA LRRA LRRAAÂ ! LRGLAÂ !
GL gl gl…
Kkh (kr kr) kkh !
Souffle ma belle
Voici un tableau en entier, maßtrisé comme un autel, ou un temple, je ne sais pas, une pomme.
Comme une trompe
un tuyau sale
un circuit vicié
Comme pas un
Une enveloppe ou plus justement une paire dâenveloppe, voilĂ , des membranes, qui entre elles interagissent ; on discerne des filaments, des petites zĂ©brures qui jaillissent ; dessous il y a quelque chose qui gigote, comme un code vocal, ou une poĂ©sie
oubliée
et tout ça se heurte un peu aux encoignures.
Comme une espĂšce de mĂ©moire, tracĂ©e (ni Ă©crite, ni gravĂ©e) Ă lâintĂ©rieur dâelle-mĂȘme, dâun globe, dâune rognure.
Pure métaphysique
& Ă©lectrique,
ha.
Codex
Couronne, finalement, par un vrai voyage quichotte.
De grands arbres de savanes derriĂšre lesquelles des pieds gigantesques
dâĂȘtres sans tĂȘte, qui avancent sĂ»rement
décidés
Et tu passes lĂ , sur la carte
sous la carte
je pense Ă toi
je pense Ă toi tout le temps
Ils réécrivent depuis le sable
les mythologies de demain
nourrie de cinéma
de stroboscopes
dâamphĂ©tamine
dâappels dâoffre
Le moderne quoi
Je pense Ă toi,
je pense Ă toi
tout le temps
De vastes étendues de couleurs hachurées, on y discerne des alignements
mais vu dâici on ne sait pas si ce sont des mĂ©galithes
des processions ou des exodes
ou des bancs qui chassent
ou des troupeaux qui sâabreuvent
ou des nuées qui virevoltent
(pour le plaisir ou la folie)
Ici, ou
lĂ ,
je pense Ă toi tout le temps
Je pense Ă toi tout le temps
Des amoncellements forment des reliefs, tout de suite cela crĂ©Ă© lâhumiditĂ©,
le joli Ă©ventail des ombres
peut-ĂȘtre mĂȘme un matin avec des bols
et un soir avec des verres
et des porte-cigarettes entre les deux
quand le soleil (mais la pluie aussi pareil) Ă©crase tout
de fatigue de lassitude.
Je vais je viens
je reviens je retourne
et je pense Ă toi
Je pense Ă toi tout le temps
Je pense Ă toi tout le temps
Je pense Ă toi tout le temps
La pelote se dĂ©noue, comme le vĂȘtement tombe comme le soir tombe
comme le feu sâĂ©teint
ouvrant grand la gueule
de la nuit