En résidence dans le Jura, je propose trois volets différents d’écriture : 1. le journal ; 2. le dictionnaire sensible du territoire ; 3. Le texte Résidence.
Aussi appelé WikiJura1, le dictionnaire sensible (ou “amoureux” selon la maison d’édition qui porte cette collection) est réalisé dans le cadre de ma résidence à Saint-Claude par les participants aux ateliers d’écriture : mise en mot, mise en forme, mise en ligne : www.amboilati.org/wikijura [adresse provisoire, hébergée par mes soins, en attendant que les habitants s’en saisissent — et se munissent d’un serveur et d’un nom de domaine.]
J’expose ici quelques-unes des notices que j’ai créées pour le Dictionnaire, même si celles-ci ont pu être modifiées par le comité de rédaction ou les auteurs.
§ Escaliers
§ Escargots La neige* fondait, revenait l’herbe et avec l’herbe les feuilles, les cailloux, les tiges et branches des arbustes, les cailloux, les murets plus ou moins éboulés, les chemins, les milieux bas (prairies, et leurs bouses), tout le caché. En attendant les premières fleurs je m’étais mis aux escargots.
Je n’en doutais pas : le facteur montagne + le facteur calcaire partout = escargots à gogo (escargogo).
Je ne m’étais pas trompé. A peine la neige devint un souvenir poisseux, je fouillais les feuilles et les mousses, la litière et les pierrailles, et les espèces abondaient : les gros bourgognes, petit-gris, hélices diverses. Je cherchais (et trouvai) les espèces montagnardes qui m’étaient moins familières, comme l’Hélice grimace2 ou l’Escargot hérisson3… Je m’abîmais* les yeux à gratter les parois des falaises, à carder les minuscules rameaux des mousses en quête d’une Vallonie, d’un Maillotin, d’un Vertige* ; je ne piétinais même plus, je végétais.
Mais sur un mur bête je me contentais d’une richesse exubérante, aussi riche que les accents et les fromages, les vins ou les rivières du Jura. Il ne fallait pas oublier que ces coquilles pesaient quatre-cent mètres et plus d’étage géologique !
L’escargot devenait subsidiaire totem, sa spire un exemple dialectique, son habitat la réconciliation du sédentaire et du nomade, du migrant et du domestique !
§ Ponts
§ Pli
§ Neige J’ai dit à tout le monde que c’est la première fois que je voyais la neige. C’était presque vrai.
La neige c’est toujours comme la première fois. Enfin je crois. Enfin pour moi. La neige est blanche, vierge, elle est la première fois. Quand elle reste, qu’elle se salit, qu’elle se boue, qu’elle se floque, qu’elle se ploque, ce n’est plus la neige. C’est de la merde. La merde ce n’est pas la première fois. La merde c’est tout le reste de la première fois, la merde c’est toutes les fois.
La neige m’effrayait4, avec son corollaire le froid, car si je n’avais pas peur du blanc, j’avais peur de le salir. Prendre sa voiture par exemple, c’est une forme de salir. Et j’ai horreur de salir la neige, que j’aime bien croquer par exemple. Conduire sur la neige m’effraie, non pas parce que je n’y suis pas habile, non pas parce que j’ai déjà eu trois “accidents” de voiture dans la neige, mais parce que salir la neige m’effraie. La neige, c’est comme les cons ou les frelons, on devrait la laisser tranquille. De ce point de vue-là, la neige c’est comme la merde (c’est ça la dialectique matérialiste), ça ne se remue pas.
Il ne faut pas remuer la neige. Il faut la laisser tomber, elle le fait si élégamment, et il faut la laisser s’étendre, elle le fait si professionnellement, consciencieusement.
§ Provence Quand je posai le pied au sol, descendant non pas du train*, mais du bus, la première fois, en octobre, la première chose qui me frappa, ce furent les barres rocheuses qui me rappelaient bigrement les Baronnies et c’est ce que je dis en revoyant M., venue me chercher à la gare, ce qui la fit rire.
En montant de Saint-Claude downtown (ici on comprend cette expression downtown) au Beverly Hills appelé Cinquétral (uptown ?), on laisse à gauche un chemin pour un autre quartier appelé Vaucluse (par ailleurs site naturel d’importance régionale, avec ses kernéras et érines).
J’ai déjà écrit ça5, que c’est plus fort que moi : ce qui est ailleurs est chez moi, et chez moi est ailleurs. Dans le Jura je lisais partout la Provence, chez ces barbares tout mes pays. Je ne voyais que les buis et pins sylvestres et faisais abstraction (de mauvaise volonté, de mauvaise foi, qui n’est qu’un avatar de l’aveuglement, qui n’est qu’un avatar du point de vue, qui n’est donc qu’un avatar de la bonne foi : il n’y a donc pas de mauvaise foi) des épicéas et des sapins, au début je n’ai jamais vu un épicéa ni un sapin dans le Jura.
La commune d’Avignon-lès-Saint-Claude 6, fondée par des moines pontifes (bâtisseurs de ponts*) venus d’Avignon en Vaucluse expliquait tous ces toponymes. Les Avignonnets, montagne reçue en échange de leur travail, et le quartier de Saint-Claude qui occupe son versant, en atteste. Les débats sur le Franco-Provençal ont accentué cette impression7.
Comment ne pas voir tous ces liens : l’impression (la trace), c’est surtout la mer solidifiée, toute ces montagnes d’escargots* (et les ponts qu’on fait dessus, qu’on fait avec…).
§ Train
§ Vertige
- Il n’est pas question, à proprement parler, d’un “wiki”, mais ce terme a été choisi et adopté par les participants, comme appellation du site internet qui regroupe à la fois les productions des ateliers d’écriture préparatoires et le dictionnaire proprement dit. ↩
- Isognomostoma isognomostomos, ça c’est du nom qui pète sa mère ! ↩
- Acanthinula aculeata, qui est moins rare que localisé, ce qui fait que je n’avais pas eu l’occasion de le croiser encore… ↩
- M’effrayait-elle comme effraie la première fois ? ↩
- Dans GEnove, texte numéro 41 : “Endémique”. ↩
- Ses habitants sont nommés Potringus, Potringuses ! ↩
- Sans compter que la topographie évoque diablement certaines communes ligures… ↩