Un texte de Pistes et sillages, une série de textes poétiques nés de l’écoute des préférés de la discothèque. Base d’improvisation, ou simplement paysage et divagation. Une anthologie.
Sommaire
- 1 Trouver un plan pour Nigel
- 2 Hélicoptère
- 3 Jours avec jours sans
- 4 Quand tu es proche de moi, j’ai des difficultés
- 5 Grand trois mètres
- 6 Les routes ceinturent le globe
- 7 Réel sur bobine
- 8 Millions
- 9 C’est comme ça
- 10 Le monde dehors
- 11 Homme ciseaux
- 12 Jeu compliqué
- 13 La vie commence au sommet
- 14 Chaîne de commandement
- 15 Feux de la rampe
Trouver un plan pour Nigel
Les amis, les vrais amis, ne savent pas vous aider. Ce n’est pas leur faute : on ne leur demande pas d’être médecin ou assistante sociale. Mais voilà, je le dis : les amis s’y prennent comme des pieds.
La raison est simple : ils vous connaissent trop. Je parle des vrais amis, notez. Vous êtes trop proches, ils vous ressemblent trop.
Si quelqu’un savait comment gérer sa vie, comment vivre, ça se saurait.
Surtout quand on est là au bord de la Manche.
Nous, on voit passer des types, tous ces types, certains qui traversent à longueur de temps, et tous les autres qu’on empêche de passer.
Mes amis m’avaient fait passer.
J’étais maintenant seul, de l’autre côté, et il s’est mis à pleuvoir, mais quelque chose.
Hélicoptère
Le bar n’est pas loin. Je me décide à y aller, même si la pluie n’arrête pas.
Il y a là tout ce qu’on attend du monde. Même si tout me paraît un peu flou. Mais c’est peut-être dû à la bière parce que pétard, elle est coriace.
À force d’y aller (j’écris peu), je sympathise avec un autre type. Tout faire pour qu’on ne devienne pas un ami vrai, putain.
L’amitié ça devient compliqué quand ça s’installe. C’est comme de l’amour, un peu, mais avec des types. Ça te tombe dessus, des fois tu sais pas que tu savais faire.
Ça dure.
Notre océan, il est majestueux, mais il est coriace, aussi. Pour tenir dans le vent gris et la bourrasque qui fouette la peau, on a des mains et des cirés. Puis la bière.
T’es pas prêt, avec ce tourbillon, quand il entre dans le bar, mince.
Jours avec jours sans
Je ne sais pas si c’est l’alcool vraiment. Le type ne me paraît pas très sûr de lui non plus. Et pourtant il se permet de descendre comme ça, à l’envers, ou encore de s’étaler latéralement, c’est très étonnant ; pas flippant, mais c’est nouveau.
Tout ça avec ses dessins, ses chansons.
Il m’a fait connaître cette meuf. Et voilà maintenant je pense à elle.
Je ne sais pas si c’est l’alcool, non. Évidemment je crois que je la kiffe un peu. Elle est un peu bizarre, mais je suis de l’autre côté de la Manche aussi. Elle fait des trucs chelou, comme du tricot. Elle a un tatouage sur le poignet, elle me dit que c’est une chanson. C’est pas flippant. C’est nouveau.
Il m’a fait connaître cette meuf. Et voilà que c’est elle que je pense. ‘Tain.
Les mains, les tenues de l’eau pourries, dégueulasses, le dos. Et elle. Elle a remplacé mon samedi.
On pourrait compter les trucs sur le mur. Je pense à elle. C’est vendredi.
Quand tu es proche de moi, j’ai des difficultés
Ça se corse.
On se voit de plus en plus, et je ne sais pas faire. Je tremble. Je bégaie. Et j’aime bien.
Je tremble. Je bégaie. Et j’aime bien.
Je tremble. Je bégaie. Et j’aime bien.
Je tremble.
Je bégaie.
J’aime bien.
Ça se corse.
Grand trois mètres
Avant c’est la peur, mais si tu sais faire (si tu as l’habitude en somme, que tu l’as domestiquée – pas qu’elle soit moins effrayante, mais elle est mieux connue, on peut se préparer), elle peut tout à fait t’accompagner comme j’imagine le font les chiens en laisse.
Alors les routes sont belles, la pluie rafraîchit et même le parc, on veut y aller.
La peur est toujours entre nous, mais la petite balle ou pelote noire du début est un genre d’immense pâte de coing un peu affaissée sous son poids gluant.
Les routes ceinturent le globe
La métaphore de la virée en bagnole poursuit son chemin. À un restoroute elle fait une pause, Anna, s’achète des clopes. De manière à ce que le tableau soit complet.
Anna porte-moi Anna.
Merde, Anna, porte-moi encore.
Réel sur bobine
Le monde, pas moyen d’y échapper.
Tous les regards,
tous les sons.
La caverne est une prison,
la data une drogue.
Encore.
Millions
En me promenant sur les docks, pour concurrencer la pluie, ne pas lui laisser le champ libre, j’ai longuement médité,
hésité,
sur les conteneurs empilés par des grues qui s’agitent.
Je ne sais rien de ce fatras, de ce fracas ni de cette agitation.
Je vois des types comme moi, avec des bonnets, qui patientent leur bière trop tôt.
Mais je vois que par-delà le port et même par-delà mes estuaires, notre « manche » tout ce fracas, tout ce fatras, va et vient, en séquences chaloupées.
Je me dis que mes petites aventures ne sont rien. Je suis comme une souris dans ces villes.
Mais vous, là-bas, on se connaît juste à travers deux-trois objets. Ces mêmes objets, inutiles.
On échange l’air qu’on déplace en vain. Gaffe.
C’est comme ça
Je médite aussi sur tout ça (j’ai des instruments pour ça), sans savoir ni pourquoi ni comment. Méditer c’est fait pour ça.
(Glissandos inespérés, aucun coup de théâtre.)
Trouver une espèce de contenance dans un vide de notre tête.
Échafauder du néant, occuper, comme un gaz, un volume.
C’est ça.
Le monde dehors
Ça gicle dehors, ça remue pas mal, mais dedans ça remue aussi. On s’enferme dans la chambre, on met la musique à fond, même en pas vrai, on saute, même en pas vrai, et on chante à tue-tête, même si c’est faux.
On s’en fout.
Homme ciseaux
Je suis revenu dans le bar, quand même. Je retrouve le type avec qui j’avais sympathisé mais je ne peux pas dire qu’on soit super content. Ce n’est pas un ami vrai. Tant mieux. J’ai déjà assez à faire avec eux (les amis vrais).
(Les vrais amis, souvent, ils résident dans une poche morte de notre mémoire. Morte, parce qu’on sait que, de toute façon, on finira bien tout ça ensemble.)
Les caméras, tout ça, les guerres, il me dit le type, faudrait tout foutre au feu. Il est éméché déjà. Moi je ne sais plus depuis combien de temps je suis au comptoir. Il y avait le jour, c’est la nuit.
Gaffe. Ça peut tout te péter à la gueule.
Jeu compliqué
On ne réussit pas tout. Et souvent on ne réussit pas tout parce qu’on comprend pas tout. D’ailleurs on comprend pas toujours qu’on a pas réussi. On sait pas toujours tout de suite si on a réussi ou pas.
C’est pas facile, ça grince, ça chuinte, mais on continue quand même.
Une sale gueule de travers, en galoche, que tu parviens à froncer un peu l’écharpe, à soustraire dans le froid, d’où tu viens ?
Une jambe qui part en saucisse, et puis tout le reste à partir du bas du dos qui est trempé. Tu vas où comme ça.
Ah il est loin l’temps du parfum de l’ail et des mains de soleil.
Tu es brisé, tu brises.
On ne réussit pas tout.
La vie commence au sommet
Dans la nuit parfois la douleur s’estompe.
On danse.
On profite, on perd du temps.
Les mecs, les nanas.
On chille.
En vain, on chille.
On se repose, à foutre autant rien comme ça.
Chaîne de commandement
Mais on peut se demander
si ça a du sens tout ça,
on peut le demander
au patron ?
Au patron
au patron
au patron ?
ad. lib.
Feux de la rampe
Si ça vaut le coup,
si ça vaut le coup,
en effet,
uh-uh, uh-uh
parce que vu d’ici
cette bulle
qui m’a porté ici,
si haut si clair
si loin si brillant
dans le ciel
le soleil
on peut bien se demander
à quoi bon.
Je vais payer des chocolats
aux nécessiteux
offrir ma main
à la soupe populaire
À quoi bon ?
Influencer,
briller,
payer.
À quoi bon ?