1. Cette note est un texte hybride, littéralement, entre les deux résidences concomitantes où je suis : Archivive à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe (14), à l’Imec, et Conversation générale à Laragne-Montéglin (051), au CHBD.
Il m’est venu à l’occasion des rencontres que nous avons organisées à Laragne et Garde-Colombe avec Paolo Milone ; un peu auparavant j’ai animé un atelier autour du soin, à la demande de la bibliothécaire, qui est très intéressée par le care.
2. Je ne sais pas trop ce qu’est le care, et pourquoi la parole anglaise aura plus de richesse ou d’intérêt que le mot français de soin.
Je me demandai ce qu’était le soin.
Il arrive que ce qu’on pourrait appeler un système, c’est-à-dire une unité composite fonctionnelle autoportée mais en interaction avec son extérieur, organisme ou autre, subisse une espèce de déséquilibre dans une situation de déséquilibre fonctionnel ou structurel, traduisant peut-être que quelque chose s’est déréglé.
Le soin est l’opération qui cherche à résorber ou réparer ce dérèglement, à rééquilibrer le système.
Le porteur de soin tâche de remédier.
Remédier, c’est-à-dire donner un remède (un médicament) mais aussi, pardonnez-moi ce jeu de mot, à restaurer un lien.
3. De là la place prépondérante du care dans le débat public.
On a l’impression que le care est une nouveauté, et qu’il répond à une attente longuement préparée dans la société. Certains qui en parlent — en dehors de son épistémè, de son histoire, de ses théories et méthodes, etc. — croient découvrir l’eau tiède (en vérité l’eau bénite) et le rendent, pour cette raison, œcuménique, apotropaïque, et malheureusement — pour moi — suspect de mysticisme.
En réalité, renversement (une fois encore) de la charge et de la preuve — ou de la hiérarchie des normes*.
4. Dans mon esprit aujourd’hui le vivant est lui-même un dérèglement de l’inerte, de dehors, un bogue du réel.
De sorte que, d’un point de vue social, on pourrait considérer que le juriste, le plombier, le naturaliste ou le dentiste remédient à un déséquilibre propre au vivant, c’est-à-dire à l’interaction propre aux vivants, et a fortiori entre les humains.
De sorte que toute activité professionnel, bon an mal an, relève du care.
En outre, *, « dérèglement », « déséquilibre », ces mots impliquent l’existence d’une règle, d’une norme, c’est-à-dire d’une séparation arbitraire entre deux états de fait / de droit.
En quoi il est nécessaire de maintenir des normes pour pouvoir y contrevenir, il est nécessaire d’avoir des maladies — la pire de toute étant la mort — pour vivre.
Et que le politique est le moyen, par la discussion, de convenir collectivement à un apaisement du désaccord, à une prévention du conflit, à une répartition du pouvoir, à une normalisation des hiérarchies.
- On n’en sort pas : 5 par 14 font 70, la Septante. ↩