Notre moment, notre monde, semble devoir se bâtir sur la déflagration, la destruction et le désastre.
Paradoxalement, car non seulement nous possédons toutes les cartes pour ne pas subir de telles conséquences, mais nous n’avons encore jamais fait montre de tant d’arrogance et d’ingénue crédulité (cela se nomme la foi) dans notre capacité à résoudre tout type de conflit.
Il est certes aujourd’hui devenu intolérable ou impensable d’imaginer d’autres conflits qui ne seraient ni commerciaux ni armés. Et le débat philosophique, morale, socio-culturel s’en retrouve à ce point appauvri que plus aucun chef politique d’envergure ne s’enquiert plus désormais d’éventuels coups de semonces des « contre-cultures ».
Une autre singularité réside dans le fait que, né du chaos et de l’extermination, notre extrême contemporain semble avoir totalement perdu en lui toute réflexion un peu critique ou tout retournement un rien contemplatif. Il semble que même cela, nous n’en prenons pas le temps. Mais la noria des rapports qui prennent la poussières sur les étagères de tous les ministères déconcentrés en serait un signe encore sympathique, s’ils l’ont ne prenait le temps, en passant, de s’attarder au bord du chemin, à l’ombre de la saulaie d’une rivière ou à l’occasion d’une excursion en montagne.
Il a semblé qu’une pensée un peu marginale, un peu radicale, ait pu germé au sortir de la « nouvelle » des camps, et pourtant, cette étincelle sensible et utile (Adorno, Antelme, par exemple) s’est retrouvée vite soufflée par les intérêts divergents, sans doute inconscients, des retombées socio-culturelles et économiques, et donc éminemment politique qu’une telle blessure sans l’avoir pensée offrait.
L’émoi fut de courte durée, si l’on tient compte que soixante années après 1948 les choses ont à ce point peu évolué.
Et de se repaître dans la mélasse du pathos, tout en brandissant son petit vit culturel, lequel fait pâle figure face aux démons du sport ou aux icônes de l’entertainment.
Mais avant d’aller au-delà, on peut se demander pourquoi, alors même que la crise est à ce point pertinente, prégnante, et criante, il est apparu impossible de penser la critique…
Je suis cette déchirure. Cette frange échevelée du livre bien-écrivant. Il nous faut trouver une niche pour nos aboiements. Il nous faut un espace pour la déchirure : y faire germer nos chiendents.