Bien sûr après Avignon il y a Arles — mais je n’ai pas eu le courage d’Avignon cette année. Trop de gens dissimulent la ville, qui s’oublie. Arles par contre est magnifiée par ces photos partout, sur les places italiennes, dans les rues, dans les échoppes.
Je ne suis pas chroniqueur de photographies, ni photographe. Je note ce qui passe par la tête/par les yeux.
Pour une première visite de l’édition 2011, on se cantonne aux évènements : les photographes du New York Times Magazine à l’église Sainte-Anne ; l’étonnante performance photographique de Wang Qingsong aux Trinitaires ; et surtout, pour qui on a fait le déplacement, la rétrospective de Chris Marker au palais de l’Archevêché.
Cette visite est une fiction.
0. Je n’ai pas d’appareil photo. J’en ai toujours un, et toujours un carnet, lorsque je visite une exposition. C’était le cas pour Willie Ronis l’an dernier, à Forcalquier. C’est le cas tout le temps et j’ai toujours pris des photos de gens contemplant des tableaux, ou assis à s’ennuyer, ou des détails des œuvres, toujours. Même dans les grosses expositions comme la Mélancolie au Grand Palais ou les Titien, Tintoret, Véronèse au Louvre (plus difficile, gardes plus féroces), toujours quelques chose à piquer, à prendre, à relater. Besoin de ces traces. Mais cette fois, seul carnet. On perdra donc d’espace.
1. Les photographes du New York Times Magazine. Important rassemblement de dizaines et dizaines de photographies très diverses dans leurs styles et sujets. Je ne citerai pas les 36 noms que j’ai relevés (peut-être oublié quelques-uns).
L’interminable liste de noms, on l’appelle litanie, est une force pour le journal, et surtout ne s’effondre pas sur elle-même à la visite de Sainte-Anne.
Pour rythmer la visite, les chapelles sont utiles et font corps ; un nourrisson, qui accompagne dans sa poussette ses parents, agite son hochet à intervalle régulier, comme pour impartir la contemplation.
Quelques-uns (les images sont d’internet) :
Sebastião Salgado. L’acier qui niche l’étincelle. Le mordoré d’argent (sic), le mors, le mors aussi de l’argentique sur le papier.
Gregory Crewdson, Maison de rêve, 2002. La terreur du cohabiter, de l’habiter confortable et bourgeois, des banlieues monotones, magnifiée par la mise en image, comme une épopée du commun, du quelconque.
Lars Tunbjörk, 42e rue, 8e avenue. Ecrire la ville, quand elle a avalé les hommes. Il y a bien des humains, mais l’un se cache, l’autre fuit, et celui-là se découpe, se déguise.
Philip Lorca Di Longa, 42e rue à 5h. Lumière frappe œil du personnage. Qu’est-ce qu’un humain (encore), pris dans son quotidien — et dans la ville, qui plus est — sinon un acteur, un personnage ; le décor est lui aussi théâtral.
Thomas Demand. Déshumanisée scène alors que les objets sont justement le fruit de la main. On poursuit : les objets ont eux aussi mangé l’homme. Le réel les a engloutis. (L’image n’est pas dans l’exposition.)
Je citerai encore : Angel Franco. Dans les gravats la lumière. Comment ne pas céder à la trajectoire, et au destin. Steve McCurry. Photographies inondées du désastre, ressemble aux quelques clichés que je peux essayer de faire de l’espace.
Il y a beaucoup de photographies, mais aussi les échanges de correspondances entre éditeur et artiste, et quelques genres de storyboard du magazine, ainsi que les fac-similé des numéros. Le tout se termine par une très belle exposition de Gilles Peress/Magnum sur l’Iran des années 80, avec les télex alors envoyés.
2. Wang Qingsong, L’histoire des monuments, 2010. C’est évident que ça vaut le détour, une unique œuvre, en comparaison avec les centaines de photographies déjà vues. Mais s’il n’y a qu’une seule et unique photographie, et elle mesure 42m de long. Elle représente la plupart des monuments célèbres du monde entier, symbolisés par des figurants (200), et le tout unifié par la boue (et le support) — liants.
L’œuvre se déploie en l’église comme un serpent, et c’est beau, dans l’espace cette ligne interminable.
On a aussi un document très intéressant (vidéo) de la réalisation de l’œuvre. Où l’on voit aussi le travail qui passionne peut-être encore plus que le résultat (attention, c’est très long à droite).
3. Chris Marker. Disproportion gardée, on change d’univers.
On a ici de très importants travaux de Chris Marker. Des choses très connues, comme la Jetée (1963) (un remake s’appelle L’armée des douze singes) ; d’autres moins, comme After Dürer (2005-2007) ou Quelle heure est-elle ? (2004-2008)
Et deux très belles séries : Passengers (2008-2010), portrait de voyageurs des métros (essentiellement des femmes) mais dont c’est le nombre, encore, qui fait la force (plus de 200 portraits) ; et Coréennes, très émouvant travail de 1957, et rare témoignage d’une culture, d’une civilisation en voie de congélation.
Je ne appesantirai pas plus sur un qui me paraît maître. On s’amuse de la visite de son monde Second Life, et on se dit que, à quatre-vingt dix ans, on n’ pas épuisé toutes ses images.
Ces images en somme. Cette somme d’image, qui établit toujours la manière dont on se saisit du dehors, qu’il soit réel ou pas, qu’il soit anthropisé ou anthropomorphique ou non. Ce que ça dit de soi. Ce que ça dit de nous.
Ce qu’on y trouve aussi.
Comme l’inscription au sol d’une église, dont je ne tiens aucune trace — ni explication : ATHENEVS ESTO HIC MYRVS
On sait bien qu’on ne s’agrippe à rien ; on sait bien que tout ceci nous échappe. Le nombre comme le fantôme ; l’absence comme la profusion. Tout ceci, tout ceci nous échappe.