Ce texte [Acte 1, scĂšne I] appartient Ă De par la ville de par le monde, un roman en cours d’Ă©criture, en six actes et soixante-douze scĂšnes, qui traite de la figure d’Auguste dans l’Empire romain et au-delĂ , sporadiquement mis en ligne ici… et exposĂ© lĂ .
Le sexe glisse alors dans la bouche et la main qui le dirige comprime plus fermement encore le sang entre les doigts. Lâaube Ă©crase et brouille tous les dĂ©tails du corps, se son grain, de sa teinte. Seul un Ćil curieux et attentif pourrait dĂ©celer dans cet amas de tissus et de peaux les mouvements qui se dissolvent lentement avec les derniĂšres couches de la nuit.
Lâhomme â dont la bouche est pleine â la chronique retiendra assurĂ©ment son nom seul, et lui rĂ©servera une place de choix au tableau dâhonneur de la postĂ©ritĂ©.
La bouche qui, prĂ©cisĂ©ment Ă cet instant, va et vient, engobant le sexe dur de lâhomme (sans que le visage de celui-ci ne se laisse voir) de sa salive, de sa langue, de ses lĂšvres et de ses dents, en ce mĂȘme moment la chronique pourrait lâoublier, lâoubliera sĂ»rement, lâa dĂ©jĂ oubliĂ©e.
La chronique prendra plaisir Ă sĂ©lectionner, Ă dissoudre, Ă ajourer, Ă confondre, dans leur acide inexorable, emporte-piĂšce, eau-forte, comme la scĂšne ici sous le poids de lâaube, les visages, les faits ou les lieux quâen toute autoritaire souverainetĂ© elle ne juge pas convenable de retenir et transmettre aux gĂ©nĂ©rations futures.
Elle ne dira pas comment, le corps brisĂ© par une convulsion Ă chaque assaut plus prĂ©cise, le membre de lâhomme Ă©chappe et ne rĂ©chappe pas de la bouche, ni comment cette bouche experte retient et dĂ©tient la dĂ©charge qui arrive, ni comment le reste du corps de la bouche vient entraver lâautre corps, rĂ©vulsĂ©, lui imposant non seulement son rythme, mais le maĂźtrisant, non seulement par la bouche affairĂ©e autour du membre turgescent, mais encore par un jeu connaisseur des jambes, du thorax, de la poitrine et des bras, une espĂšce de danse que la bouche mĂšne sur lâensemble de sa proie, donnant ici de lâisthme, lĂ de lâĂ©tendue, ici de lâaisselle ou de lâaine duveteuse, lĂ du plein ou du rond glabrescent ; comment ce quâelle prend ici, elle le rend au dĂ©cuple, au centuple lĂ , donnant, se donnant aussi Ă lâautre, peu avare de salive, de poil, de sueur et dâhumeur faisant briller les courbes, saillir les os, les linĂ©aments.
LĂ de la forme, lĂ de la matiĂšre.
Le peu de lumiĂšre levante qui sâinsinue par claire-voie dĂ©signe un ĂȘtre monstrueux, en pleine lutte contre lui-mĂȘme dans cette mutation aux mouvements pourtant tranquilles. Car toute cette violence encore mouchetĂ©e de pĂ©nombre est feutrĂ©e et comme lente, lâintensitĂ© est au prix de la cĂ©rĂ©monie, lâintensitĂ© des Ă©carts et fonction de la solennitĂ© de la cĂ©rĂ©monie, Ă chaque fois, toutes les fois, ces prĂ©cipices se mesurent Ă la fleur plutĂŽt quâau fusil.
La chronique ne retiendra pas les faits, oui. Ils sont pourtant essentiels, ces lieux, ces gestes, ces visages, aussi capitaux que nĂ©cessaires au dĂ©roulement futur de lâhistoire. Mais lĂ©gende et chronique ne sont guĂšre gĂ©nĂ©reuses. Ainsi la bouche qui sâattarde en ce moment mĂȘme sur la pointe la plus chaude et rougie du sexe de lâhomme, cette bouche est condamnĂ©e Ă lâanonymat par la chronique et jamais elle ne daignera infĂ©rer Ă cette cause un quelconque effet qui puisse de quelque maniĂšre peser sur le cours des Ă©vĂšnements.
ArithmĂ©tique, aussi rythmique que mĂ©trique, mĂ©canique, mĂ©thodique, le jeu cesse, la danse se casse, les deux corps sont suspendus un instant en un clic, un hiatus de leur liaison avant la dĂ©visse. Un instant un souffle lâaube avant la dĂ©charge, le membre turgescent dĂ©verse sa colĂšre dans la bouche aussi surprise que comprise et cette dĂ©charge dans la bouche se communique aussi au corps restant de la bouche, Ă son tour saisi de tressaillements, maintenus dâun seul doigt bien posĂ©, et lâinstant le souffle lâaube dure le temps dâun instant dâun souffle mais il dure le temps de lâaube qui est un temps qui ne dure pas, qui perdure, qui sâĂ©tire, et les corps se dĂ©chirent, accablĂ©s retombent sur la couche, et les gouttelettes avec elle sur les ventres, les joues, les mains et Ă©toffes pesantes.
Cette bouche, alors quâenfin elle reçoit, de maniĂšre aussi capricieuse que logique, toute la semence du monde, cette bouche nâest pas seulement cette bouche dans laquelle se dĂ©verse toute la semence de lâhomme, mais elle est une bouche anonyme parmi tant dâautres, elle est toutes les bouches, et toutes les bouches ne le font pas souvent, et sans doute la plupart ne le feront jamais de leur vie, mais toutes les bouches en retour peuvent se permettre de prĂ©tendre avoir baisĂ© le gland du prince, et dâavoir bu le sperme du prince, bu le sperme de dieu lui-mĂȘme, sperme dont quelques gouttes, dit-on, confĂšre lâimmortalitĂ©, ou encore une descendance de futurs gĂ©nĂ©raux, de notables, de jumeaux facĂ©tieux ou dâexcellents cavaliers.
Mais on sait bien, Ă errer avec des centaines dâautres bouches, dâautres sexes anonymes dans les couloirs de la maison dâor que les immortels sont inconstants, et sujets Ă des complĂ©tions complexes, souvent mĂ©lancoliques, parfois funestes, et puis quâen ferait-on, dâune paire de jumeaux prĂ©tentieux, quand on peut lĂ©cher aujourd’hui les couilles de dieu lui-mĂȘme comme une crĂšme glacĂ©e aromatisĂ©e Ă la vĂ©ritable pistache de Bronta.
â II